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scandale des canonistes et des casuistes sévères. La nature des choses s’opposait en effet à l’invasion de la théologie dans l’économie politique. La loi chrétienne pouvait bien dire, selon l’expression de Bossuet, qu’il faut prêter comme on fait l’aumône, non pour son profit, mais pour le bien de l’indigent, les jurisconsultes pouvaient bien aussi prétendre, comme Grotius, que, s’il est juste dans le prêt d’en régler le prix, non par l’utilité qu’en tire l’emprunteur, — elle est son fait propre, — mais par la perte que subit celui qui prête, c’est là un point d’équité naturelle dont la mesure est impossible à établir : on ajoutait encore que l’argent par lui-même n’a pas de valeur propre, ne produit rien directement, ne se détériore pas par l’usage, qu’il suffit donc d’en rendre l’équivalent : toutes ces sévérités d’une morale sublime ou ces subtilités juridiques ne pouvaient prévaloir contre les nécessités de la vie quotidienne et les besoins de l’échange, dont l’instrument était fourni par le prêt. De même que la tenue des marchés et l’établissement des foires avaient donné lieu aux bénéfices des changeurs, les transactions maritimes aux assurances, les transactions du commerce aux risques à terme, et que les lombards et les juifs avaient conquis le privilège du prêt à intérêt, il se trouva encore des casuistes en droit civil pour éluder à l’aide de formules savantes les prohibitions de l’église : au moyen d’artifices juridiques, en mélangeant les contrats de société, d’assurances et de vente, tous contrats permis, on dissimula le prêt à intérêt défendu ; les « trois contrats » fleurirent pendant longues années. Pascal se moqua des jésuites au sujet du mohatra, appellation inintelligible, qui sous forme de vente cachait un prêt à usure. On invoqua tour à tour les intérêts moratoires ou les retards de remboursement pour justifier la plus-value dans le remboursement même ; les villes commerciales s’adressèrent directement aux papes ; le protestantisme arbora la bannière de la liberté des transactions et de l’intérêt du prêt ; enfin la constitution des rentes, dernier refuge des prêteurs d’argent timorés, donna lieu à des réglementations diverses. On avait en France appelé le taux de 10 pour 100 le prix du roi, parce qu’il avait été ainsi fixé par l’autorité royale ; à la fin du XVIe siècle, le parlement de Paris défendit de constituer des rentes à plus haut prix que 6 pour 100 : plus tard, sous Louis XIV, le denier 20, c’est-à-dire le taux de 5 pour 100, prévalut, et depuis lors n’a cessé d’être le taux légal. En même temps que la loi abaissait le taux des rentes, la prohibition de l’intérêt du prêt s’adoucissait, et les usures modérées étaient permises.

Dans nos provinces de droit écrit, la tradition des lois romaines ne s’était point affaiblie ; Lyon avait même obtenu pour les foires, de Henri III jusqu’à Louis XIV, le privilège des prêts par billet dans lequel l’intérêt de l’argent était compris, non-seulement entre