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moins fâcheux à certains égards que cette dernière, dont les décrets devraient être immuables, soit soumise à des variations importantes et profite, elle aussi, des bénéfices du progrès humain. On s’explique cependant que la loi religieuse, destinée non-seulement à réparer le mal comme la loi civile, mais à le prévenir et à pousser ceux qui la suivent dans la voie d’une perfection idéale, dépasse dans certaines dispositions les rigueurs de la loi civile et condamne des choses que celle-ci tolère. On conçoit donc qu’après avoir édicté des prohibitions absolues pour des faits que l’ensemble des circonstances où ils se produisent d’abord rend plus ou moins dommageables, la législation religieuse se relâche de ses sévérités mêmes et, comme elle mesure tout à l’intention plus qu’aux conséquences des actes, ne considère plus comme fautifs ceux qu’aucune intention particulière n’incrimine en même temps qu’aucun désavantage ne suit. Ces réflexions s’appliquent on ne peut mieux au prêt à intérêt. Ce prêt, que la loi romaine appelait mutuum, quia ita a me tibi datur ut ex meo tuum fiat, ou fœnus, différait du prêt à usage, commodatum, et de la location. Dans le prêt à usage et dans la location, la propriété de la chose n’était point transférée à l’emprunteur ; il devait la rendre comme il l’avait reçue et dans le contrat de louage acquitter un certain prix pour s’en être servi. Dans le mutuum ou le fœnus, la propriété de l’objet prêté passait entre les mains de l’emprunteur, puisque l’usage le faisait périr : denrées alimentaires, objets de consommation quelconques ou numéraire qui les représente, il était impossible à l’emprunteur de rendre cela même qu’il avait reçu : il ne devait que l’équivalent, c’est-à-dire des objets semblables ; mais là où la loi civile avait permis d’adjoindre à l’objet restitué un prix raisonnable et modéré du service rendu, — usura, fructus fœneris, — la loi religieuse avait formellement interdit le moindre intérêt ! Le prêt mutuel devait être gratuit.

La nature du prêt à intérêt, les variations des lois civiles et religieuses à son égard, tant dans l’antiquité que dans le moyen âge et de nos jours, n’ont jamais été mieux exposées que dans l’excellent traité du prêt dû à un éminent magistrat du dernier règne, M. Troplong, précédé d’une introduction où l’élévation de la forme égale l’autorité du fond. Cette matière du prêt à intérêt et de l’usure a suscité plus de travaux, d’écrits et de controverses qu’aucune autre ; les ouvrages philosophiques et religieux, les commentaires des conciles et des décisions papales, les travaux des jurisconsultes anciens et modernes composeraient la plus étendue des bibliothèques ; le grand Bossuet lui-même figure parmi les casuistes les plus autorisés et les auteurs de livres spéciaux sur les