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leur rigueur, les quakers en Angleterre et en Amérique, les mennonites en Hollande et en Allemagne, n’ont point de pauvres, et presque tous leurs membres sont dans l’aisance ou dans l’opulence. Un quaker vit exactement comme l’a voulu Jésus et comme le conseille l’économie politique. Il travaille avec ardeur et constance ; il est sobre, il fuit le luxe dans ses vêtemens et dans sa maison ; il secourt ses semblables et en même temps il épargne ; il féconde ainsi l’industrie, crée du capital et fonde la liberté. C’est l’esprit des Pilgrim-Fathers qui a suscité l’étonnant développement des États-Unis. Je ne puis qu’indiquer rapidement quelques faits. Le sujet demande de longues recherches : elles aboutiront toujours à cette consolante conclusion, que ce qui conduit les peuples au bien-être, c’est le culte de la vérité et l’amour de la science.


II

La morale touche aux racines mêmes de l’économie politique. De quoi s’occupe celle-ci ? De l’accroissement de la richesse. Qu’est-ce qui est richesse ? C’est, comme l’a très bien dit Roscher, tout ce qui satisfait un besoin vraiment humain, c’est-à-dire digne de la nature humaine et avoué par la raison, un besoin rationnel en un mot. Or qui dira quels sont les besoins rationnels ? L’hygiène déterminera quels sont les besoins réels du corps, et la morale dans quelle limite il convient d’y donner satisfaction : elle condamne d’un côté l’ascétisme qui béatifie Simon le Stylite parce qu’il se perche au haut de sa colonne ou saint Labre parce qu’il vit dans la malpropreté et l’oisiveté, et d’un autre côté, le Sybarite à qui la feuille de rose enlève le sommeil et que les soins de mille serviteurs ne peuvent satisfaire. Il ne faut pas tant ravaler et mortifier le corps qu’il ne puisse plus être l’instrument de l’esprit, mais il ne faut pas non plus l’amollir au point qu’il faille sans cesse s’occuper de ses fantaisies. Les Grecs en ce point doivent être nos modèles. Ils s’occupaient beaucoup du corps, mais pour le fortifier et l’endurcir de façon qu’il fût insensible aux intempéries, à la fatigue et presque à l’abri des maladies. En même temps, ils s’appliquaient à la culture de l’esprit par les discussions philosophiques et politiques et par le culte de l’art conçu comme moyen d’éducation.

La morale de tous les temps prêche la modération des désirs. La plupart des économistes se félicitent au contraire de ce que les désirs de l’homme sont illimités, parce qu’ainsi, quel que soit le progrès des machines, il restera toujours autant de besogne à faire. Dans ce conflit de doctrines, qui a raison ? Évidemment la morale. Si la machine abrège le temps nécessaire pour donner satisfaction