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les hommes tels qu’ils sont et les lois telles qu’elles doivent être. Je tâcherai d’allier toujours, dans cette recherche, ce que le droit permet avec ce que l’intérêt prescrit, afin que la justice et l’utilité ne se trouvent point divisées. » Alliance du droit et de l’intérêt, de la justice et de l’utilité, voilà le point capital.

On l’oublie trop, c’est bien ainsi que les créateurs de l’économie politique, les physiocrates en France et Adam Smith en Angleterre, ont compris la science qu’ils fondaient. « L’économie politique, dit Smith, regardée comme une branche de la science de l’homme d’état et du législateur, a deux objets propres : rendre les citoyens habiles à se procurer des moyens abondans de subsistance et fournir au gouvernement un revenu proportionné au service public, en somme enrichir le peuple et le souverain. » Il s’agit donc des lois de l’état, non des lois naturelles. Mais, a-t-on dit, ce n’est pas là de la science, c’est de l’art, et on a proposé de constituer d’un côté une science qui s’occupe des lois générales et nécessaires, et de l’autre un art qui recherche les moyens d’application. On n’a pas compris que, si on appelle art tout ordre de connaissances qui poursuit un but, les sciences morales méritent toutes ce nom. En effet, la morale ne se contente pas de décrire les passions humaines, elle dit ce que les hommes doivent faire, quels sont les devoirs qu’ils ont à remplir, les vertus qu’ils doivent pratiquer. Le droit détermine les lois qu’il faut adopter pour que la justice règne. La politique cherche quelles sont les formes de gouvernement et les institutions qu’un peuple doit mettre en vigueur pour atteindre au degré de civilisation et de prospérité dont il est susceptible. Les sciences morales ont toutes un même but, qui est d’amener les hommes au bien, au bonheur, à la perfection. Faut-il pour cela les appeler des arts ? Je ne le pense pas. L’art ne commence que quand on étudie les moyens de faire accepter les règles d’action que ces sciences ont découvertes.

On discute encore beaucoup au sujet de la méthode propre à l’économie politique. Les uns prétendent que c’est une science « déductive, » c’est-à-dire qui se déduit a priori de quelques principes évidens par eux-mêmes. Les autres disent que c’est une science « inductive, » c’est-à-dire qui repose sur des inductions tirées de l’observation des faits. « L’économie politique, envisagée dans ce qu’elle a de général, dit Rossi, est plutôt une science de raison qu’une science d’observation. » Mill, Senior, Cairns, ont exprimé une opinion semblable. « L’économie politique, dit Senior, repose sur un petit nombre de propositions générales, dont le fondement est cet axiome, que tout homme désire augmenter sa richesse (wealth) avec le moins de sacrifices possibles. » Ce désir, là où il y a liberté et sécurité, conduit au travail, à la création et à