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bonheur et celui de leur patrie. Comme le dit très bien Roscher[1], les quelques maximes de ces auteurs qui concernent la richesse ont plus de portée qu’une foule de grands traités qui analysent longuement les effets de la loi de l’offre et de la demande. Ceux-ci notent les conséquences nécessaires de certains faits. Ceux-là s’adressent au libre arbitre, et indiquent à l’homme la meilleure voie à suivre et pour lui et pour les autres. — De la consommation dépend la production. En effet, l’industrie travaille pour satisfaire les besoins. Changez les besoins et vous aurez du coup changé toute l’industrie. Faites un peuple de sybarites, et les forces productives seront consacrées à créer des objets de luxe et de fantaisie. Ayez une nation de sages ou de quakers, et le travail ne servira qu’à fabriquer des choses utiles. La direction à imprimer à la consommation est donc chose capitale. Combien y a-t-il d’économistes qui s’en soient occupés[2] ? On le voit, la définition ordinaire de l’économie politique néglige l’essentiel et semble comprendre ce dont il ne peut être question. Tâchons de bien saisir son objet et sa mission.

L’homme a des besoins nombreux : besoins de se nourrir, de se vêtir, de se loger ; besoins primitifs que les raffinemens de la civilisation ont modifiés de mille façons différentes. Pour y donner satisfaction, la nature offre ses richesses et l’homme a ses bras. Il travaille d’abord pour se nourrir ; ensuite pour se fabriquer des outils, des instrumens qui diminuent l’effort ou accroissent le produit. Plus ces instrumens sont parfaits et mieux l’homme sait en tirer parti, plus il obtient de produits pour une même quantité d’efforts

  1. « Personne ne m’a plus instruit que Thucydide en économie politique, dit Roscher… Tandis que maintenant on connaît mieux la production de la richesse, les anciens en avaient mieux étudié la répartition. Ils n’ont pas commis cette grande erreur d’oublier les hommes pour ne s’occuper que des richesses. » Toute richesse, dit Xénophon, n’est utile que pour celui qui sait en faire un bon usage. » Par cette seule maxime, il fait de l’économie une science sociale. » Voyez Anstchten der Volkswirthschaft, 1re étude. M. Guillaumin a publié une traduction de cet ouvrage par M. de Rivière, sous le titre de Recherches sur des sujets d’économie politique.
  2. Notons cependant que M. Cliffe Leslie a toujours insisté pour montrer l’importance, la nécessité d’une théorie de la consommation ; mais, ajoute-t-il, on ne pourra tracer l’effet de la consommation sur la nature et la production de la richesse sans étudier l’histoire et la structure de la société et les lois qu’elles rév-lent. M. W. Stanley Jevons a aussi combattu (V. the Theory of political Economy, p. 46) ce passage de Mill : « Je ne connais aucunes lois de la consommation de la richesse qui puissent être l’objet d’une science spéciale de la richesse. Ce sont tout simplement les lois des satisfactions de l’homme. » — « En effet, répond M. Jevons, l’économie politique repose sur les lois des satisfactions humaines. Nous travaillons pour produire en vue de consommer, et la nature et la masse des richesses sont déterminées par nos besoins. Tout manufacturier sait combien il lui est nécessaire de connaître et de prévoir les goûts des consommateurs ; son succès en dépend, et de même toute la théorie économique dépend d’une bonne théorie de la consommation. »