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danger même par le suffrage universel. Malheureusement on voulut dissoudre en quelques jours les ateliers nationaux, et la révolution de février, la plus pacifique, la moins sanglante de toutes celles qu’a subies la France, aboutit aux terribles journées de juin. L’effarement de la bourgeoisie fut portée au comble ; elle n’eut plus de repos qu’elle n’eût demandé protection à un coup d’état, fait non comme en 1799 par un grand homme, mais cette fois par une bande d’aventuriers. La popularité de l’empire lui vint du progrès économique qui se produisit à cette époque et qui eut pour causes la construction des chemins de fer, le développement du crédit et des sociétés industrielles, et l’impulsion donnée aux échanges internationaux par les traités de commerce. Mais la prospérité matérielle ne peut faire oublier la liberté à une nation généreuse, mûre pour se gouverner elle-même. Quand Napoléon III sentit le sol se dérober sous lui, il chercha une diversion dans la guerre étrangère et n’aboutit qu’à amener l’invasion et le démembrement de la France. Ce sont donc des causes économiques qui ont amené la chute de la république en 1852 et l’établissement de l’empire, et ce sont elles encore qui ont fait oublier pendant quelque temps ce que ce régime avait de funeste pour la moralité, pour l’activité intellectuelle, et en même temps de périlleux pour la sécurité extérieure.

Quand récemment une partie des hautes classes cherchait à renverser la république, c’est parce qu’elles s’imaginent que le despotisme peut seul les sauver du « péril social » que l’on appelle aujourd’hui le radicalisme. Au fond, on ne peut le nier, des craintes imaginaires sans doute, mais très réelles, les poussaient. Les souvenirs de la commune de 1871 font aujourd’hui le même effet que ceux des journées de juin en 1852. Si les soi-disant conservateurs qui veulent détruire les institutions républicaines avaient des notions plus claires de politique et d’économie politique, ils verraient que le rétablissement du régime despotique peut seul provoquer un bouleversement de la société et le renouvellement des horreurs de la commune.

Certes, quand la propriété est menacée, la liberté est toujours sacrifiée, comme le prouve l’histoire de la Grèce antique, et la raison en est simple : pour vivre libre, il faut au moins vivre. Dans nos sociétés industrielles, l’anarchie conduirait plus vite au despotisme qu’autrefois, parce que la division du travail et la multiplicité des échanges rendent la sécurité plus indispensable. Mais d’abord le socialisme, très menaçant en Allemagne et en Angleterre, a si complètement disparu en France qu’on n’ose même plus invoquer son nom comme épouvantail, et, ainsi que nous l’avons montré ici même, les ouvriers comprennent aujourd’hui toutes les difficultés d’une transformation économique. En second lieu, si ce danger existait,