Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/896

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grave qu’elle a traversée récemment ont pour cause première l’ignorance en fait d’économie politique.

L’origine de la situation remonte à 1848. La révolution de février, faite à propos d’une revendication de droits politiques, a pris immédiatement le caractère d’une révolution sociale. Depuis le mouvement saint-simonien de 1830, l’idée d’une transformation profonde de la société s’était peu à peu répandue parmi les ouvriers de Paris et des grandes villes. Ces aspirations étaient vagues, mais ardentes ; elles ne tendaient à rien moins qu’à une nouvelle organisation du travail ayant pour effet d’abolir le salariat. Sauf quelques économistes comme Blanqui, Burette et Wolowski, les hommes d’état, les financiers, les classes dirigeantes ne soupçonnaient pas la fermentation sourde qui s’était emparée de l’esprit du peuple. Aussi la surprise et bientôt l’effroi furent-ils grands quand le socialisme apparut sur la scène, armé du suffrage universel et revendiquant la suppression du travail à la tâche, la limitation des heures de travail, l’organisation de sociétés coopératives et le droit au travail, envoyant à la chambre, à des majorités écrasantes, les représentans les plus fameux de toutes ses nuances : Louis Blanc, Proudhon, Pierre Leroux, Considérant, Cabet, s’infiltrant des villes dans les campagnes et semblant aux imaginations épouvantées à la veille de conquérir le pouvoir. Des membres éminens de l’Institut : Thiers, Passy, Troplong, et la petite, mais intrépide phalange des économistes : Michel Chevalier, Bastiat, Molinari, Léon Faucher, se précipitèrent sur la brèche, principalement dans cette Revue, pour repousser par le raisonnement les attaques des réformateurs.

Malheureusement entre le peuple et la bourgeoisie le malentendu était trop profond, et des deux côtés l’ignorance trop grande. Les ouvriers s’imaginaient qu’il suffisait de quelques décrets pour transformer de fond en comble l’ordre social et pour établir l’égalité. Les gens aisés, affolés de terreur, croyaient que les socialistes, devenus les maîtres, allaient procéder à l’expropriation universelle et au partage des biens. Si les connaissances économiques avaient été plus généralement répandues, d’une part les ouvriers auraient su, ce qu’ils commencent à comprendre maintenant, que les changemens dans l’ordre social ne peuvent se faire que peu à peu, et que la dictature la plus absolue, la plus impitoyable, fît-elle table rase de toutes les institutions anciennes et de tous les droits acquis, ne pourrait transformer brusquement les salariés en propriétaires coopérateurs ou en chefs d’industrie, et, d’autre part, les conservateurs auraient vu que, dans un pays où les citoyens qui ont une part plus ou moins grande de la fortune mobilière ou immobilière de la nation forment la majorité, la propriété ne peut être mise en