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rivière qu’un port de mer. Au-delà de l’Orne, la côte court de l’est à l’ouest et jette dans les terres, à l’extrémité de son parcours, une espèce de golfe à deux pointes. Sur l’une est Isigny, sur l’autre Carentan. De là le rivage s’avance dans une direction nord-sud jusqu’à la pointe de Barfleur, et délimite ainsi, entre cette pointe et Le Havre, ce creux de la Manche qu’on nomme la baie de la Seine. La pointe de Barfleur sert de relèvement aux navires allant au Havre et qui viennent de l’Atlantique ou qui partent de ce port pour l’Océan. De Barfleur au cap de la Hogue, le rivage reprend une direction normale à la précédente, c’est-à-dire moyennement orientée de l’est à l’ouest. Sur le milieu est Cherbourg, avec sa digue de 4 kilomètres qui se profile sur l’Océan et que les vagues recouvrent quand elles sont en furie. Ce travail audacieux, dont les fondations sont à 20 mètres sous l’eau et qui défend et abrite la rade, est un des ouvrages les plus hardis qu’il ait été donné à l’homme de concevoir et de construire. De Louis XIV à Louis XVI, on y a vainement travaillé par tous les moyens ; la mer semblait prendre plaisir à défaire l’œuvre commencée à peine, et l’art de l’ingénieur n’était pas encore, paraît-il, assez avancé, assez perfectionné, pour mener cette grande chose à bonne fin. A notre époque, on a fini par résoudre le problème au moyen des blocs artificiels de béton, déjà essayés avec tant de succès au port de Livourne par M. l’ingénieur Poirel, puis à celui d’Alger, à celui de Marseille, et jusqu’à celui de Port-Saïd, où MM. Dussaud ont imaginé de les faire en sable comprimé. A Cherbourg, on a immergé des blocs de béton qui ont jusqu’à 20 mètres cubes de volume. Au total, le travail a duré soixante-dix ans, de 1784 à 1854, et l’on y a dépensé 70 millions. Il ne faut pas regretter de pareilles entreprises ; quelque longues et coûteuses qu’elles soient, elles grandissent et protègent à la fois la nation qui les conduit à bien. Si Le Havre est le principal port de commerce de la Manche, n’oublions pas que Cherbourg en est l’unique port militaire.

La pêche et l’ostréiculture sont en faveur sur la Manche non moins que sur l’Océan. Paris, le nord et le centre de la France sont pour tous les pêcheurs de ces parages des cliens toujours assurés et qui paient bien. Quant à l’ostréiculture, elle a depuis quelques années donné lieu à nombre d’entreprises qui mériteraient toutes d’être citées, à Courseulles, à Grand-Camp, à Saint-Waast dans la baie de Seine, comme à Granville, Regnéville et Cancale, de l’autre côté du département de la Manche, ainsi qu’au Vivier et à Fosse-Mort près de Saint-Malo. Toutefois c’est sur l’Atlantique, entre Brest et Arcachon, que la culture des eaux marines s’est surtout développée, et les établissemens français de la Manche ne sauraient cette fois entrer en parallèle avec ceux de l’Océan.