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la nuit éclaire l’entrée du port. En deçà du phare de la jetée nord se dresse un sémaphore muni d’un mât de pavillon, sur lequel on indique, au moyen de signaux convenus, les différentes profondeurs d’eau de la passe suivant l’état de la marée.

De la tourelle du sémaphore, on embrasse tout l’estuaire de la Seine et les plages du Calvados. L’embouchure du fleuve, à certains momens de la journée, est sillonnée par des groupes de bateaux pêcheurs dont les voiles blanches et triangulaires se dressent sur l’eau comme d’immenses ailes. À l’horizon, on devine plutôt qu’on n’aperçoit Honfleur, caché derrière un promontoire ; puis, perdues dans la brume ou les dunes, les stations balnéaires chères aux Parisiens, Trouville, Deauville, Villers, Houlgate, Beuzeval, Dives, Cabourg, autant de plages sableuses qui s’enfoncent doucement dans la mer et dont quelques-unes, comme Cabourg, sont précédées de bouquets d’arbres. Plus loin est l’embouchure de l’Orne, qui vient de baigner Caen avant de se jeter dans la Manche.

Reportant ses regards sur la rive où l’on est, on salue d’abord l’immense établissement de Frascati, dessiné comme un hôtel à l’américaine, et qui essaie de rivaliser à la fois avec toutes les stations normandes. Après vient Sainte-Adresse, trop vantée, et la haute falaise de la Hève, qui dresse ses deux phares sur la Manche. De là jusqu’à Étretat, où le cap Antifer le dispute au cap de la Hève, tous les deux hauts de plus de 100 mètres, la plage est coupée à pic comme une énorme muraille : c’est le type caractéristique des falaises si connues, avec leurs lits de craie blanche à bandes de rognons de silex et leurs couches de calcaires gris et d’argiles bleuâtres, semés de coquillages fossiles. Par l’effet des agens physiques, la roche s’effeuille, se divise en blocs ; ceux-ci tombent peu à peu à la mer, qui les lave et les arrondit en galets. Les vagues affouillent le pied de la falaise, qui finit par porter à faux et s’écroule. Selon les endroits, le recul de la côte est évalué de 1 mètre à 2 mètres par an ; sur d’autres le recul est moindre, mais toujours très sensible à la longue. Comme il arrive sur beaucoup de rivages, le courant marin traîne les galets avec lui le long du littoral, et l’on peut suivre l’avancement progressif de cette armée de cailloux, du cap de la Hève à l’embouchure de la Seine. Ils arrivent ainsi jusqu’à l’entrée du Havre. Par des épis ou digues transversales, qui partent du pied des falaises, on a paré à cet apport dangereux, arrêté cette marche envahissante, comme on a obvié par des chasses d’eau et des draguages répétés aux dépôts de vase et de sable amenés par le fleuve lui-même. Sans toutes ces précautions, la baie de la Seine eût pu être un jour en partie comblée et le port du Havre perdu. Dans les parages où nous sommes, les eaux de la Manche sont pour