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pointu : c’était tout. Où sont les Turcs, les Marocains, les Grecs, les Levantins de Marseille, avec leur costume élégant aux vives couleurs, leur peau bronzée, le chapelet d’ambre à la main, le tarbouch rouge sur la tête ou le vaste turban ? Et non-seulement le port principal de la Manche n’est pas, comme le grand port de la Méditerranée, une sorte de caravansérail où tous les traficans de l’univers semblent s’être donné rendez-vous, mais ce serait même se tromper que de chercher parmi les négocians havrais le type de la race normande. Le Havre est une ville relativement si moderne, ses habitans sont originaires de points si divers de la France, qu’elle n’a pour ainsi dire aucun cachet particulier. En 1871, à la suite des désastres de la guerre franco-allemande, un certain nombre d’Alsaciens, qui ne voulaient pas renoncer à leur nationalité, sont venus s’établir au Havre. Beaucoup d’étrangers se sont aussi fixés dans cette place uniquement pour y faire le négoce, des Suisses, des Belges, des Anglais, des Américains, des Scandinaves, voire des Allemands. On les accueille, on traite avec eux, car les affaires rapprochent les hommes, fussent-ils d’opinions et de races diverses. De tout ce mélange il est résulté comme une sorte de population variée dans le détail, uniforme dans l’ensemble, et dont rien n’attire tout d’abord l’attention du voyageur.

Animé d’un bon esprit, rompu au travail, le négociant havrais nous a paru s’intéresser, en dehors des soucis quotidiens de sa profession, à quelques-uns des grands problèmes sociaux ou scientifiques qui préoccupent les hommes d’aujourd’hui. La ville a fait récemment aux membres d’une association savante réunis en congrès une réception dont ils garderont longtemps le souvenir. Un ancien négociant de la place, dans un dessein philanthropique et moral aisé à deviner, a contribué à l’établissement d’un hôtel spécial pour les mousses et les jeunes novices des navires. D’autres, apportant le germe d’idées qui avaient fructifié à Mulhouse, ont fondé une école supérieure de commerce, un cercle d’ouvriers, des cités ouvrières. Tout cela prospère et témoigne de l’initiative, de la bienveillance réciproque des diverses classes de la société. On a institué des conférences, des bibliothèques, des cours gratuits ; on s’est inquiété des écoles publiques. Nulle part n’existe plus vif le désir de répandre partout l’instruction. Il faut tenir compte aux négocians, aux industriels, aux manufacturiers du Havre de ne pas s’absorber tout entiers dans les opérations de leur comptoir, de leur fabrique ou de leur usine. Ils ont compris qu’ils avaient, eux aussi, charge d’âmes, et qu’après tout ils étaient directement intéressés à rehausser le niveau moral du peuple, tout en aidant à son bien-être matériel.

Le bassin du Commerce, sur l’un des petits côtés duquel se tient