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véritable port de la France sur la Manche. Et cependant si rapide a été de nos jours le mouvement du commerce et de la marine que des ports étrangers tels que Anvers et Hambourg, nous ne parlons ni de Londres, ni de Liverpool, ni de Glascow, ont marché encore plus vite que Le Havre, lui font une concurrence acharnée et le menacent sérieusement.


I. — LE PORT, LA VILLE, LES HABITANS.

Aucun port en France n’est aussi bien disposé, ne présente des aménagemens aussi commodes que Le Havre. Tous ses bassins sont intérieurs, fermés par des écluses, et les navires, amarrés par le flanc le long des quais, y déposent tranquillement leurs marchandises à l’abri des agitations de la mer. Quelques-uns de ces bassins, comme celui du Commerce, où accostent de préférence les longs-courriers des Antilles et de l’Amérique du Sud, sont au milieu même de la ville, et le passant assiste au débarquement et à l’embarquement des colis et à toutes les opérations du navire. Le bassin du Commerce a une forme rectangulaire, couvre une surface de 5 hectares, et ses quais mesurent 1,200 mètres de long. Une haute machine à mater est installée sur un des petits côtés du rectangle. En deçà, une belle place, au fond de laquelle s’élève le théâtre.

C’est sur cette espèce de forum, transformé en bourse en plein vent, qu’à certaines heures du jour s’installent, se promènent les négocians pour y traiter des affaires, établir le cours des denrées. Là, suivant l’offre ou la demande, se décide la baisse ou la hausse. Il n’y a pas encore d’édifice spécial, aux formes monumentales, pour abriter la chambre et le tribunal de commerce, le parquet des agens de change, avec une vaste salle ouverte à tous et des bureaux pour les courtiers, les assureurs, comme à Marseille, à Bordeaux, à Nantes. C’est la dernière chose à laquelle on a songé au Havre ; on y construit la bourse en ce moment. En attendant, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il tonne ou qu’il neige, le négociant navrais règle ses affaires sous le ciel. A peine trouve-t-il à s’abriter sous les arcades du théâtre ou d’un café voisin. Cette coutume d’opérer en plein air, imitée des anciens, a régné à Marseille jusqu’à ces dernières années ; elle existe encore à Livourne. A Gênes, on préfère aussi le parvis découvert de la Loggia à la grande salle intérieure. Au Havre, on prétend que, la bourse achevée, personne n’y entrera ; nous verrons bien.

Dans toute cette foule de négocians assemblés, rien qui attire les yeux. Nul costume étranger ne vient jeter une note originale, éclatante. Un jour cependant il nous souvient d’y avoir rencontré un Hindou au cafetan blanc, et peut-être même un Parsis au bonnet