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répandu aussi de très bonne heure. On le suit pour ainsi dire pas à pas, dans les inscriptions de M. Waddington, depuis le moment où il pénètre dans le pays jusqu’à son triomphe définitif. L’une d’elles, qui contient des symboles chrétiens mêlés à des formules païennes, semble être d’un temps où les fidèles avaient besoin de dissimuler leurs croyances. Une autre rappelle l’époque des persécutions. Il y est dit « que Chosté, femme d’Inus le martyr, a porté des présens à la maison de la prière. » Dans une autre, il est question d’une de ces hérésies qui furent si fréquentes pendant les premiers siècles. Le linteau sur lequel elle est écrite était placé au-dessus de la porte d’une chapelle qui n’existe plus ; on y lit ces mots : « Synagogue des Marcionistes du bourg de Lebada, élevée au Seigneur et au Sauveur Jésus par le prêtre Paul. » C’est le seul monument de ce genre qui nous soit parvenu. « Il est d’un grand intérêt, dit M. Waddington, parce qu’il constate l’existence d’un lieu de culte public consacré à une hérésie, et antérieur aux monumens datés les plus anciens du culte public des catholiques. » Une autre inscription, curieuse aussi par les souvenirs qu’elle rappelle, devait surmonter un temple que des païens fidèles construisaient « par l’ordre divin de leur maître, le césar Jullien. » Le monument et l’inscription même sont inachevés. Julien ne vécut pas assez pour terminer son œuvre. Les temples qu’il faisait bâtir ou qu’il relevait furent interrompus par sa mort, et après lui la doctrine qu’il avait combattue avec tant de passion ne trouva plus de résistance.

La Syrie pratiqua le culte nouveau avec encore plus de ferveur que l’ancien. Les églises et les chapelles y sont en très grand nombre et presque toutes contiennent des inscriptions pieuses. Sur la porte, celui qui les a bâties les offre à Dieu pour le salut de son âme. Quelquefois il refuse de se nommer par humilité et se contente de dire : « Souviens-toi, Seigneur, du chrétien qui a construit ce monument et dont tu sais le nom[1]. » A l’intérieur, on lit les prières de ceux qui s’adressent aux bienheureux George et Michel ou « au saint et misérable Job, » si populaire dans ces contrées. Ils leur demandent humblement de les protéger, de les conserver, d’obtenir le repos éternel pour les parens ou les amis qu’ils ont perdus. C’était déjà l’usage d’écrire des prières semblables sur les murs des temples païens. On en a précisément trouvé une en Syrie qui est ainsi conçue : « Jupiter invincible, élève Uranius le pieux ! » On voit qu’on ne parlait pas du même ton à Jupiter qu’à saint George, et qu’on ne lui demandait pas les mêmes bienfaits. Ce ne sont pas seulement les édifices sacrés qui renferment de ces

  1. Un de ces architectes a trouvé un moyen assez curieux de concilier sa dévotion de chrétien avec sa vanité d’artiste. Il a inscrit ces mots sur la maison qu’il avait construite : « La puissance de Dieu et du Christ l’a élevée ; Domnos architecte. »