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De tout temps, toutes ces localités avaient été adonnées au trafic de la mer. Harfleur existait dès l’époque romaine, peut-être dès l’époque gauloise. Il était très florissant au temps de Guillaume le Conquérant, qui préféra cependant partir de Dieppe pour sa descente en Angleterre. Sous les premiers Capétiens, les Castillans, les Pisans, venaient y trafiquer. Le cap de la Hève, que l’on éclairait la nuit, leur signalait l’embouchure de la Seine. Les Castillans apportaient à Harfleur du vin et du blé d’Espagne, de la cire, du sel (les salines de l’Eure avaient disparu), du cuir de Cordoue, — les Pisans les soies et les draps de Florence. Ces marchands rapportaient entre autres choses des laines et des toiles. Au commencement du XVIe siècle, ce commerce s’agrandit singulièrement, tout d’un coup. La mode était aux grandes courses maritimes. La route de l’Inde par mer venait d’être trouvée, l’Amérique découverte. Les Malouins, les Dieppois, les gens des Flandres et ceux d’Harfleur, de Honfleur, de Rouen, rivalisaient depuis longtemps avec les Portugais et les Espagnols. Dieppe, en même temps que Lisbonne, avait fondé des comptoirs sur les rives les plus lointaines de l’Afrique occidentale. Le roi de France, avec raison, pensa qu’il ne serait pas trop d’un nouveau port sur la Manche pour seconder l’élan de sa marine. Il fallait aussi, par le moyen de cette espèce de sentinelle avancée, surveiller les Anglais et armer contre eux. N’étaient-ils pas nos ennemis les plus redoutables, et sur nos rivages mêmes ne possédaient-ils pas encore Calais ? La fondation du Havre-de-Grâce venait donc à tous égards fort à propos, et ce devait être à la fois un port de commerce et un port militaire. Le roi, qui y avait dépêché son grand-amiral et ses ingénieurs, se rendit de sa personne sur les lieux, en 1520. Il y trouva les travaux avancés et accorda à la ville naissante, afin d’y attirer en foule les marins, les pêcheurs, les marchands, et qu’elle se peuplât plus vite, une charte particulière avec de nombreux privilèges.

Tout alla bien tant que François Ier fut en vie. Sous le règne troublé de ses successeurs, les protestans s’emparèrent de la ville, la livrèrent un moment aux Anglais. Henri IV la racheta du duc de Villars, qui s’en était déclaré maître. Sully, Richelieu, agrandirent le port, qui n’était encore qu’un port d’échouage où les navires s’envasaient à la marée basse, et l’entourèrent de quais : c’est de cette époque que date le bassin du Roi. Colbert, Vauban, le rendirent accessible à des navires de fort tonnage, en le transformant en bassin à flot, c’est-à-dire fermé par des portes ou écluses, derrière lesquelles étaient retenues les eaux de la marée montante. En 1666, Vauban joignit Le Havre à Harfleur par un canal latéral à la Seine, ouvert entre les fossés de ces deux places. Le XVIIIe siècle