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écrivait ces mots était un Arabe de naissance[1], mais le plaisir qu’il trouvait à servir sous les enseignes romaines lui faisait oublier son pays, et il était fier de se dire « un Romain de Rome. » Ces sentimens sont souvent exprimés dans les inscriptions de la Gaule et de l’Espagne ; ils étaient communs, ce qui ne surprend pas, dans les pays de l’Occident, plus rapprochés de Rome et depuis longtemps familiarisés avec elle ; les travaux de MM. Waddington et de Vogüé nous montrent qu’on les retrouve jusqu’au milieu du désert de Syrie.


II

En même temps que la domination romaine s’établissait en Syrie, le christianisme y faisait des progrès rapides. Le terrain, comme nous Talions montrer, était bien préparé pour lui, et il y devint vite le maître. On a vu que tous les monumens qui existent dans ce pays sont des six premiers siècles de notre ère, mais ils appartiennent surtout à la fin de cette période, c’est-à-dire à une époque où le christianisme était dominant. Ils ont donc été presque tous construits sous son inspiration, et ils en portent la marque.

C’est ici que les planches de M. de Vogüé et les inscriptions de M. Waddington vont nous être d’un grand profit. Nous leur devrons des enseignemens que nous ne pourrions pas trouver ailleurs. On ne possède presque plus de monumens chrétiens de ces époques reculées ; la plupart ont dû périr dans les bouleversemens effroyables de l’invasion. Ceux qu’on a sauvés des barbares dans quelques villes privilégiées, comme Rome, n’ont pas échappé tout à fait à un autre péril : ils ont été victimes de la dévotion même des fidèles. On les a si souvent embellis, renouvelés, mis à la dernière mode, qu’on ne peut presque plus les reconnaître. S’il en est dans le nombre qu’un hasard heureux ait protégés et qui se soient conservés assez intacts, ils sont rares, isolés, et cet isolement nous empêche quelquefois de les bien comprendre. Nous possédons sans doute quelques beaux types de l’art des divers siècles, mais les intermédiaires nous manquent. Nous voyons le résultat auquel on est arrivé ; nous ne connaissons pas la route qu’on a suivie pour l’atteindre, nous ne pouvons plus savoir par quels essais et quels tâtonnemens on a passé avant de produire les œuvres qui nous restent. En Syrie au contraire, on a retrouvé à peu près toutes les églises qui ont été bâties depuis le ive siècle jusqu’à Justinien ; la série entière de ces monumens primitifs existe ; on les voit pour ainsi dire sortir les uns des autres et l’on saisit leur filiation. C’est un grand art qui naît et grandit sous nos yeux. Nous le prenons à ses débuts, aucun des progrès importans

  1. C’est du moins ce que M. Renan conjecture de la tournure de la phrase.