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ces pressoirs, qui existe encore à El-Barra, se composait d’une sorte de cuve ou d’entonnoir placé à l’extérieur de la maison, par où les vendangeurs jetaient le raisin qu’on foulait ensuite dans le cellier. Au-dessus de la cuve, sous un large auvent qui la protège, le propriétaire a fait graver deux vers latins qu’on peut lire encore, où il célèbre « les présens de Bacchus que donne la vigne quand elle est mûrie par un soleil ardent ; » et nous dit que son raisin produit « une liqueur semblable au nectar. » Les anciens nous apprennent en effet que les raisins d’El-Barra méritaient ces éloges ; ils étaient renommés dans tout l’Orient, et l’empereur Élagabale, qui les appréciait beaucoup, en faisait venir à Rome à grands frais pour les donner à ses chevaux.

Figurons-nous tous ces monumens intacts et toutes ces maisons habitées. Relevons par la pensée ces pans de muraille abattus, ces voûtes renversées ; remettons dans ces villes le mouvement et la vie qui s’y trouvaient il y a quinze siècles, et il nous sera aisé de comprendre combien cette animation et cette prospérité, qui succédaient d’une façon si merveilleuse à la barbarie et à la solitude, devaient surprendre les peuplades voisines. Les Arabes nomades, qui tournaient sans cesse autour des frontières et n’y pouvaient plus pénétrer, en furent plus frappés que les autres. Cette civilisation, qu’ils apercevaient de loin, finit par les attirer, et plusieurs de leurs tribus souhaitèrent jouir aussi de « la paix romaine. » Rome les accueillit bien et sut profiter d’eux. Elleen fit des soldats qui comptèrent bientôt parmi les plus braves de ses armées. Elle les associa à son œuvre et ils furent en général chargés de protéger les caravanes qu’ils avaient si longtemps pillées. Plusieurs d’entre eux se firent vite remarquer dans ce nouveau métier ; ils conquirent par leur intelligence et leur valeur des grades élevés, et même il y en eut un qui devint empereur. C’était Philippe, que sa naissance ne semblait pas destiner au trône, car il était le fils d’un chef de brigands. Après son élévation à l’empire, il n’oublia ni son pays ni même son père, quoiqu’il eût quelque intérêt à ne pas s’en souvenir pour le faire oublier aux autres. Il fonda une grande ville à l’endroit où il était né et l’appela de son nom ; quant à son père, il lui fit solennellement décerner l’apothéose. L’ancien voleur devint dieu comme un autre, et on lui éleva des autels. Les personnes qui souhaitaient quelque faveur du fils avaient l’air de croire à la divinité du père, et M. Waddington a copié dans le pays quelques inscriptions où il est dévotement invoqué. Il a retrouvé aussi d’une manière certaine les ruines de Philippopolis, sur la position. de laquelle on n’était pas d’accord. « C’était une grande ville, entourée de murailles qui forment une enceinte rectangulaire, percée de deux grandes voies pavées qui se coupent en croix, ornée d’un