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Phœna, aujourd’hui Mousmieh, se trouve un très beau prétoire, qui a été construit en l’honneur de Marc-Aurèle, sous la direction d’Egnatius Fuscus, centurion de la troisième légion. C’est un édifice qui, par sa forme, ressemble beaucoup aux anciennes basiliques. Les arcs des voûtes, hardiment jetés d’un mur à l’autre, reposent sur des colonnes élégantes ; le fond se compose d’une tribune ou abside surmontée d’une large conque, et les murs latéraux portent des consoles destinées à recevoir les portraits des officiers de la légion. N’est-il pas curieux de voir ces soldats bâtir de si beaux monumens aux frontières du monde civilisé, et l’art grec s’emparer des pays barbares grâce à la conquête romaine ?

Mais les maisons particulières sont encore plus intéressantes à étudier que les monumens publics. Elles nous montrent à quel point le goût du bien-être et l’amour du luxe s’étaient répandus dans les rangs inférieurs de cette société. Ce ne sont pas seulement des édifices isolés que M, de Vogüé a retrouvés dans son voyage ; il a pu voir des villes entières, il en a parcouru les rues et les places, et les planches de son livre les reproduisent avec tant de fidélité qu’il nous semble en les regardant que nous les parcourons avec lui. Il nous suffit de rapprocher ces dessins l’un de l’autre pour que le tableau soit complet. Voilà bien une ville antique, comme nous les présentent les récits des historiens. Autour d’elle s’étendent de vastes nécropoles, et, selon l’usage, le séjour des morts précède la demeure des vivans. Pour arriver aux premières maisons, il faut traverser plusieurs rangées de tombes. En Syrie, comme partout, ce sont des édifices fort soignés, dont la forme varie suivant la région. Ici on les creuse dans le roc, et pour y pénétrer il faut descendre les larges dalles d’un escalier qui conduit à des portes de basalte ornées de moulures et de festons. Les gens riches surmontent ces chambres souterraines de petits portiques ou de colonnes accouplées qui indiquent au loin l’emplacement de leur tombeau. Souvent aussi la sépulture se trouve au-dessus du sol ; elle est composée d’édicules carrés que termine une sorte de pyramide avec de petits rebords saillans. M. de Vogüé pense que ces rebords étaient destinés à porter des lampes allumées, « car l’illumination des tombeaux à certains jours faisait et fait encore partie du rituel oriental. » D’autres fois, ce sont des tours élevées, dont les étages inférieurs contenaient des sarcophages et dont le haut servait de colombier, « en sorte, dit une épitaphe grecque, qu’elles abritaient à la fois la mort et la vie. »

Au-delà des tombeaux commence la ville. Ici, tout est si bien conservé qu’on peut presque sans effort se croire au vie siècle de notre ère. On s’engage dans des rues étroites que de belles maisons bordent des deux côtés. Elles ont été souvent ébranlées par