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ou à des événemens cent fois plus désastreux, à un rétablissement de la sécurité générale ou à la catastrophe définitive qui peut devenir le point de départ d’effroyables et inépuisables conflits ? Rien ne se dégage encore de cette obscurité. La Russie, comme l’indiqueraient ses mouvemens, se propose-t-elle de se porter sur Gallipoli ? — Oh ! non, elle n’ira pas jusque-là…, à moins cependant que les Turcs n’aient l’air de concentrer des forces de ce côté. — A-t-elle l’intention d’aller camper à Constantinople et de faire dire la messe russe à Sainte-Sophie, comme le disait autrefois l’empereur Nicolas ? — Ce n’est pas encore certain, c’est « probable, » selon le mot de M. de Lieven ; ce ne serait, dans tous les cas, qu’une opération de guerre qui ne déciderait rien sur la destination définitive de Constantinople. Les négociations sont-elles ouvertes, ont-elles réussi ? Tout est contradiction et mystère. Il n’y a qu’une chose bien claire, c’est que, tant qu’il n’y a pas un armistice ou des préliminaires de paix, tout est possible, le champ est ouvert à une armée victorieuse qu’aucun obstacle sérieux ne peut plus arrêter. Des prétentions mêmes de la Russie pour la paix qu’elle entend imposer, on ne sait que ce qu’en a dit hier à Londres le chancelier de l’échiquier sir Stafford Northcote, en ajoutant que cela n’avait rien d’officiel. Or ces prétentions, qui ne sont peut-être qu’un programme, une première ébauche, elles touchent manifestement à une multitude d’intérêts, elles font de ce conflit qui s’agite aujourd’hui, non plus seulement une affaire entre la Russie et la Turquie, mais une question d’un ordre européen, universel.

Quel est ce programme que la Russie aurait tracé et que sir Stafford Northcote a lu à la chambre des communes ? Il se résume en quelques points essentiels : indépendance du Monténégro avec accroissement de territoire, indépendance de la Roumanie et de la Serbie avec rectification de frontières, indemnités territoriales et combinaisons sous-entendues ; organisation de la Bulgarie sous la forme d’une principauté à peu près souveraine comme l’était jusqu’ici la Roumanie, avec extension du territoire bulgare au sud des Balkans jusqu’aux limites de ce qu’on appelle vaguement la « nationalité ; » administration autonome de la Bosnie et de l’Herzégovine ; réformes dans « les autres provinces chrétiennes de la Turquie ; » indemnité de guerre pour la Russie, « soit en argent, soit en territoire, soit sous toute autre forme ; » question des détroits réservée à une « entente ultérieure sauvegardant les droits de la Russie. » Le cabinet de Saint-Pétersbourg, en victorieux qu’il est, croit sans doute avoir satisfait à tout en réservant certaines questions à un congrès ; mais évidemment de tous ces points du programme russe, il n’en est pas un seul, sauf l’indemnité de guerre, qui n’ait un caractère européen, qui n’ait été placé jusqu’ici sous la sauvegarde et sanction de traités généraux. Ces principautés dont