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doute de ces prévoyances ; ceux qui ont la prétention de les inspirer ou de les conduire, de faire vivre régulièrement un ensemble d’institutions, un nouveau régime politique, ceux-là surtout devraient y songer. Ils devraient se rappeler une parole de l’illustre maréchal Bugeaud, le jour où se réunissait l’assemblée législative de 1849, dont la majorité, peu favorable à la république, laissait dès le premier moment éclater sa passion. Le maréchal Bugeaud disait à ses amis que la modération était le devoir des majorités. Elle est un devoir parce qu’il faut bien, après tout, que les partis apprennent à se supporter, et parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de créer un apaisement vrai au sein duquel on puisse s’occuper sérieusement des affaires du pays.

Au fond, cette modération toujours invoquée et toujours nécessaire, elle n’est pas seulement un devoir, elle est un intérêt. Elle résume dans un mot toute la politique d’un régime qui se fonde, qui a des souvenirs à effacer, des préjugés à vaincre, des défiances à dissiper, pour s’établir avec quelque force, pour devenir cette « réalité vivante et efficace » dont parlait l’autre jour M. Gambetta. La république vient de passer par une dure épreuve de six mois, elle en est sortie intacte. Une fois de plus elle s’est trouvée avoir l’avantage d’être le seul régime possible en face de la coalition incohérente de toutes les choses impossibles. La meilleure manière de la servir aujourd’hui, c’est évidemment de ne donner aucun prétexte à des crises nouvelles, de ne pas rendre la vie trop difficile à des ministres bien intentionnés comme on le faisait il y a un an, — et c’est là sans doute ce qu’entendait M. Gambetta lorsque, dans son dernier discours, il promettait au cabinet « un appui éclairé, sympathique, dévoué, » lorsqu’il disait aussi que « la majorité était revenue plus calme qu’elle n’était partie. » L’expérience doit profiter à tout le monde, aux vainqueurs comme aux vaincus. Qu’on écarte donc le plus possible tout ce qui peut diviser ou irriter, et l’excès des invalidations et les débats épineux sur des incidens militaires qu’il est toujours délicat de porter devant une chambre. Ce n’est point sans doute qu’on n’ait le droit de s’occuper et de se préoccuper même passionnément de ce qui touche l’armée, de ses intérêts et de son esprit ; mais croit-on qu’il soit bien utile de contraindre M. le ministre de la guerre à discuter dans une assemblée un « ordre de place, » à exprimer publiquement un blâme ou une approbation sur une épithète, à faire sa profession de foi sur la Marseillaise ? Tout ce qu’on peut demander à M. le ministre de la guerre, et il est le premier pénétré de ce devoir, c’est de maintenir l’armée dans son vrai rôle en dehors de toute politique, c’est de réchauffer toujours en elle l’émulation, le zèle, l’esprit militaire, le goût du service et de l’uniforme. Le reste est toujours difficile à traiter dans un parlement, et en cela, comme sous d’autres rapports, le mieux est d’éviter autant que possible ce qui est périlleux ou