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Beaconsfield et pour sa politique lorsqu’il voit que ses sentimens sont partagés par un nombre considérable d’Anglais qui pensent ou se donnent l’air de penser. Ce n’est pas avec un parti seulement que le cabinet tory est aux prises, c’est avec une coalition de partis et de sectes de toute espèce. Tous les coalisés chantent le même air, mais chacun adapte à cet air les paroles qui lui plaisent. Les uns sont des humanitaires, des philanthropes, et ils font de la politique de sympathies, bien que l’expérience ait prouvé que de tous les genres de dilettantisme c’est le plus dangereux. A la vérité, des enquêtes consciencieuses leur ont démontré que certains massacres qui ont épouvanté l’Europe ont été dans une large mesure l’ouvrage du panslavisme ; ils s’obstinent à en rendre les Turcs responsables et s’en vont criant partout que l’Angleterre se couvrirait d’un éternel déshonneur si elle s’avisait de prendre parti pour les oppresseurs contre les opprimés, pour les monstres contre les anges. En lisant leurs déclarations, leurs manifestes et leurs journaux, vous n’avez pas besoin de demander : Où est le Bulgare ? Il est partout, il s’étale à la première page comme à la dernière.

Aux bulgaromanes se joignent les gens que dévore le zèle de la maison du Seigneur. Non-conformistes, congrégationalistes, bergers ou brebis de la haute église, tous voient la politique au travers de leur catéchisme, et, détestant à l’égal l’un de l’autre le croissant et la croix latine, ils se sont pris d’une chaleureuse admiration pour l’église russe. Aussi appellent-ils de tous leurs vœux le jour où l’orthodoxie moscovite réclamera Sainte-Sophie à Mahomet, parce que cet événement sera tout à la fois très agréable à Dieu et infiniment désagréable au prisonnier du Vatican. A l’exemple des bulgaromanes, les hommes d’église et les sectaires sont disposés à considérer les populations chrétiennes de la péninsule du Balkan comme « les vrais enfans de la promesse, » et ils leur accordent sans compter toutes les vertus qu’ils refusent impitoyablement aux Turcs. Ils vantent la loyauté serbe, ils célèbrent les louanges du « glorieux, de l’immortel Monténégro, » ainsi que le faisait M. Gladstone dans une lettre récente que la Gazette de Moscou a révélée au monde. Dans cette même lettre, M. Gladstone traitait Osman-Pacha de « brute grossière, quoique courageuse. » Ce subtil raisonneur a-t-il donc juré d’inspirer au genre humain l’amour des brutes ? Et au surplus pourquoi s’est-il arrêté en si beau chemin ? Après avoir refusé l’intelligence au héros de Plevna, dont les Russes ont noblement acclamé le génie militaire, qu’en coûtait-il à M. Gladstone de lui contester aussi le courage ? Le vrai zèle ne recule devant rien.

Le cabinet tory n’a pas seulement affaire à la politique des sympathies naturelles ou artificielles, aux bulgaromanes, aux congrégationalistes, aux orthodoxes de la stricte observance, il a encore maille à partir avec les utilitaires, avec les positivistes, avec beaucoup d’hommes