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seigneuriaux était ordinairement fixé par des livres terriers qui étaient tenus avec soin, ou par la coutume de la terre que les hommes se transmettaient invariablement. L’arbitraire y tenait peu de place. Les serfs seuls firent d’abord exception ; ils ne pouvaient alléguer aucun contrat originel ; ils étaient taillables et corvéables à miséricorde. Mais ils acquirent peu à peu, soit par l’affranchissement, soit par l’abonnement, une façon de charte qui détermina la limite de leurs obligations.

De ces principes découlaient tous les impôts du régime féodal, impôts qui formaient une sorte d’échelle ascendante comme la société elle-même. Dans l’intérieur de chaque domaine, le seigneur, à titre de propriétaire, percevait le cens, les redevances, le champart, les corvées et services des tenanciers libres ou serfs. Il avait en outre le formariage de ses serfs et leur succession, au moins en partie. Il avait enfin un droit de relief ou rachat à chaque mutation qui survenait dans la tenure, soit par succession, soit par vente. Toutes ces redevances avaient un caractère essentiellement privé et patrimonial. Elles étaient la conséquence naturelle de l’antique concession faite par le propriétaire du sol. Les cens, champart et corvées équivalaient à un fermage annuel. Les lods et ventes représentaient le droit qu’avait toujours le propriétaire de reprendre son bien et d’écarter un concessionnaire nouveau. Les domaines entre eux, à titre de fiefs dépendant les uns des autres, supportaient des charges analogues. Il est vrai que pour le feudataire, qui tenait à foi et non à cens, les redevances et les corvées étaient remplacées par le service de guerre et de cour ; mais les droits de mutation étaient à peu près les mêmes : c’était le relief à chaque décès, c’était le quint à chaque vente. Il est à remarquer que ces charges étaient en général plus lourdes pour le fief que pour la terre roturière, ce qui a fait dire à Beaumanoir que, dans l’appréciation des héritages, il faut estimer plus haut les terres en censive que les terres en fief, à cause des charges dont celles-ci sont grevées[1].

On s’est demandé si ces redevances seigneuriales n’étaient pas les restes des anciens impôts publics qui, établis par l’empire romain et conservés par les deux premières races de rois, se seraient continués dans le régime féodal, avec cette seule différence que, de contributions d’état, ils seraient devenus des impôts privés. Il nous semble que, malgré les efforts de quelques érudits, cette filiation entre les impôts romains et les droits féodaux reste difficile à démontrer. La théorie de Championnière, fort obscure et qui a

  1. Beaumanoir, Coutumes de Beauvoisis, liv. XXVII, c. 27. Toutefois l’observation du grand jurisconsulte ne s’applique pas à toutes les provinces, elle ne serait pas juste à l’égard de la Bourgogne.