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au trésor. Enfin, conséquence inattendue, il arriva que toute l’action financière fut au pouvoir d’agens qui devaient un jour se rendre indépendans de l’autorité centrale, et qui ce jour-là garderaient l’impôt dans leurs mains.

Ce qui contribua encore davantage à jeter le désordre dans le régime financier de la Gaule franque, ce fut l’usage des immunités. L’histoire ne peut pas dire dans quelle proportion cette faveur fut accordée à des laïques, guerriers ou courtisans des rois ; les diplômes de cette catégorie ne se sont pas aisément conservés[1] ; mais, en ce qui concerne les terres d’église, une multitude de chartes qui nous sont parvenues attestent toute l’étendue du mal, On appelait charte d’immunité une lettre royale qui était concédée à un évêque ou à l’abbé d’un monastère, et qui contenait toujours, comme trait essentiel, une phrase conçue ainsi : « Nous voulons qu’aucun de nos fonctionnaires, ni duc, ni comte, ni aucun agent inférieur, ni aucun homme revêtu d’une fonction publique quelconque, n’entre sur les terres de celui à qui nous donnons cette immunité, ne mette les pieds sur les domaines de cet évêque ou de cet abbé, en quelque province qu’ils soient situés, soit pour y rendre la justice, soit pour y percevoir les amendes, soit pour exiger aucune contribution des habitans libres ou serfs qui y vivent. » C’était renoncer à la fois à la juridiction, à l’administration et à l’impôt. Or cette concession s’appliquait à toutes les terres qu’un évêché ou un monastère pouvait posséder, et nous savons qu’il y avait des monastères, comme ceux de Saint-Denis, de Saint-Martin et de Saint-Germain, qui avaient de très nombreux domaines dans toutes les parties de la Gaule. La concession s’étendait même « à tout ce que l’église ou l’abbaye pourrait posséder à l’avenir, à tout ce que la générosité des fidèles pourrait lui donner dans la suite des temps. » Le renoncement royal ne comportait ni réserve ni limite[2]. — Si l’on observe de près ces immunités, on voit bien qu’elles ne supprimaient pas précisément l’ancien impôt public ; les hommes libres qui habitaient les domaines ecclésiastiques continuaient à y être soumis ; mais l’impôt était payé à l’église ou « au saint, » au lieu de l’être au roi. Du côté du contribuable, l’impôt subsistait ; du côté du roi ou de l’état, l’impôt disparaissait. En d’autres termes, la contribution publique se transformait en

  1. On en a pourtant quelques-uns. Voyez le Recueil des formules, éd. E. de Rozière, no 26, 27, 147 et 152 ; Baluze, Capitulaires, t. II, p. 1405. La Vie de saint Éloi mentionne aussi une immunité qui fut accordée à ce personnage lorsqu’il n’était pas encore évêque. (V. S. Eligii, I, 15.)
  2. Toutes ces formules se trouvent dans le recueil.de M. E. de Rozière, dans les Diplomata de Pardessus, et dans le Recueil des historiens de France. Elles se continuent depuis les premiers Mérovingiens jusqu’aux premiers Capétiens, toujours semblables durant cinq siècles.