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possession de l’aptitude militaire, et, dans des circonstances données, d’armer la nation tout entière, si elle n’a pas été préparée par l’enseignement de l’école à ces grands devoirs ? Les lois de la discipline militaire française ne créent, on le sait, dans l’armée, que les respects réglementaires, ne faisant aucune place aux respects de principe et de sentiment. Elles étaient insuffisantes dans l’état ancien, suffiront-elles dans l’état nouveau ? Non, et il faudra, pour soustraire à ce péril l’avenir du pays, qu’à la réforme de l’éducation de la jeunesse s’ajoute la réforme de l’éducation de l’armée, dont je me propose d’indiquer, dans la suite de ces études militaires, le but et les moyens.


V. — LES FAMILLES MILITAIRES.

Dans un temps où la civilisation a fait pénétrer au sommet de la société le raffinement, au milieu le confort, au bas des préoccupations de plus en plus accusées de bien-être, où le commerce, l’industrie, le savoir-faire et une singulière diversité d’entreprises qu’on appelle en langage moderne a la spéculation, » ont ouvert aux plus habiles, aux plus heureux, bien souvent aux plus osés, le chemin de la richesse, il est plus difficile qu’autrefois de trouver de bonnes gens qui se vouent par tradition et par goût à la carrière des armes.

Là cependant, comme ailleurs, la fortune aveugle chemine sur sa roue, exaltant ceux-ci, écrasant ceux-là, mais son évolution dans l’armée offre un caractère tout particulier. Elle permet aux heureux d’atteindre à des positions enviables, brillantes quelquefois, lucratives jamais, et de plus, le risque, — un risque que le commun des hommes n’envisage pas tranquillement, quoi qu’on dise, — est toujours à côté de l’effort. La plupart des familles d’aujourd’hui gardent d’ailleurs et se transmettent le souvenir des sacrifices douloureux, quelquefois accablans, qu’elles ont faits pour les guerres toujours renouvelées, presque toujours insensées, du siècle. Elles prémunissent leurs enfans contre des perspectives de poésie et de gloire, derrière lesquelles elles aperçoivent des perspectives d’invalidité, de mutilation et de mort. À ce sujet, je place incidemment ici quelques réflexions que je m’étonne de ne pas rencontrer dans l’œuvre des statisticiens qui mettent en ce moment même le comble à nos anxiétés en nous montrant que le chiffre de l’indigénat français tend à devenir stationnaire, pendant que la population de presque tous les états de l’Europe s’accroît dans des proportions de plus en plus considérables. Ils cherchent l’explication de cette infériorité, si menaçante pour l’avenir de la