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devant les résultats déjà réalisés, les générations qui en bénéficient devraient accorder sans compter, aux services de ces énergiques pionniers de la colonisation algérienne, les louanges qu’ils reçurent autrefois, prématurément et avec excès, des contemporains[1]  : elles seraient justes aujourd’hui autant que méritées, et elles n’auraient pas le dangereux effet qu’elles eurent alors, d’altérer profondément dans l’esprit de la nation et de l’armée le sens vrai des choses militaires, en créant autour des institutions, des personnes et des faits, un mirage que devaient entretenir de premiers succès, — systématiquement exagérés, — dans les guerres d’Europe (Crimée, Italie), que devaient dissiper trop tard d’épouvantables revers.

Ma jeunesse presque tout entière s’est écoulée au milieu des événemens dont j’ai cherché, dans cette courte discussion, à faire ressortir la philosophie. Je n’en ai eu la claire intuition qu’après de longues années remplies par d’autres événemens qui m’ont éclairé dans l’âge mûr, attristé dans la vieillesse, tous m’apportant de solides élémens de réflexion et de comparaison. Cette philosophie se résume ainsi :

Les nations et les gouvernement qui jouent avec la guerre, la considérant dans certaines crises comme un révulsif ou une diversion, paient cher, tôt ou tard, cette erreur grave. La guerre, — fléau sans doute inévitable, puisque la civilisation elle-même est impuissante à l’écarter, — doit être envisagée et doit être faite sérieusement, sincèrement, modestement, si on veut qu’elle forme des hommes de guerre vraiment dignes de ce nom et de leur mission. Je dirai plus loin ce que devrait être dans la paix, au premier degré, l’austère éducation qui leur convient. Quand l’éducation complémentaire de la guerre, qui est comme leur école d’application, est faussée par la louange érigée en système, le contentement de soi et la superbe leur arrivent, précédant le charlatanisme

  1. Par un revirement de l’opinion, plus facile à expliquer qu’à justifier, à l’engoûment d’autrefois a succédé, dans le public et dans l’armée, l’indifférence pour les efforts des troupes en Afrique ; ils restent cependant très méritoires et du plus haut intérêt. Beaucoup de régimens et de détachemens stationnés au loin sont aux prises, sous un climat très épuisant, avec des difficultés d’existence et de fonctionnement, avec des fatigues qui les entretiennent dans l’action. Les officiers de cette armée, aujourd’hui assujettis aux mêmes études professionnelles que les officiers de l’armée de l’intérieur, sont en outre appliqués ou peuvent s’appliquer à des travaux spéciaux (affaires indigènes, administration coloniale, etc.), qui ouvrent à l’activité de leur esprit un champ très étendu. Enfin, en dehors des cas d’opérations militaires devenus rares, les réunions de troupes pour les manœuvres, où les terrains les plus divers sont à leur libre disposition, ont un intérêt effectif, une réalité qu’elles sont loin de rencontrer en France. Je me persuade que dans les luttes possibles de l’avenir le 19e corps d’armée, transporté sur le théâtre de la guerre, y apparaîtrait comme une réserve d’élite.