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mois, c’est-à-dire six fois plus de temps que nous n’en avons accordé de nos jours à la préparation de chacune des guerres de Crimée, d’Italie, du Mexique et de Prusse ! Quand, le 25 mai 1830, la flotte expéditionnaire française, forte de 77 bâtimens de guerre, de 350 bâtimens de charge, portant une armée de 35,000 hommes avec son matériel, fit voile vers l’Algérie, les gouvernans de ce temps-là eurent le droit de dire au pays « qu’ils n’avaient laissé à la fortune que la part qu’il est impossible de lui ôter. »

Pourquoi cette campagne de guerre, si grande par les incertitudes comme par les périls connus et inconnus qui l’entouraient, par l’étendue des services qu’elle allait rendre à la civilisation, par la rapidité et par l’éclat de sa réussite, n’a-t-elle dans l’histoire française contemporaine, surtout dans les souvenirs populaires, toujours prêts à l’exaltation de nos succès militaires, qu’une place de second rang ? C’est que le pays était ailleurs. Il était tout entier à une autre bataille, préparant la révolution de 1830, l’accomplissant au moment où arrivait en France la nouvelle de la prise d’Alger, enfin cherchant à en organiser les suites dans l’un des plus ardens accès de fièvre politique qu’il eût jamais eus. Pourquoi au contraire, pendant les vingt ans de guerre arabe qui ont suivi la prise d’Alger, l’opinion s’est-elle passionnée, jusqu’à l’excès le plus dommageable à l’esprit militaire dans le pays et dans l’armée, pour les choses de cette guerre et pour les personnes qui y jouaient un rôle ? C’est ce que je vais expliquer.

Dans un commencement de carrière traversé par vingt ans des plus dures épreuves et où ne lui avait manqué aucune des leçons propres à former l’expérience d’un souverain, le roi Louis-Philippe avait pu juger des calamités que la guerre fait peser sur les peuples, des bienfaits que la paix leur vaut. C’est pénétré de cet enseignement qu’appelé au trône par les événemens de 1830, il y montait avec la résolution de faire de la paix la base et le but avoué de sa politique, dans une pensée dont les générations d’aujourd’hui, désolées par la guerre, peuvent mesurer la sagesse et la grandeur. Mais, travestie aux yeux de la nation par les partis intéressés au décri du nouveau pouvoir, cette pensée fut entre leurs mains une arme puissante contre lui. Ils dirent et ils prouvèrent qu’elle attentait à la dignité du pays, et le gouvernement fut incessamment battu en brèche par une presse exaltée qui l’appela, en vertu d’un mot d’ordre devenu populaire, « le gouvernement de la paix à tout prix. »

Quel moyen d’atténuer dans l’esprit des foules les effets de cette dangereuse tactique de l’opposition, sans cesser de faire prévaloir devant la France et devant l’Europe la politique de la paix ? Le gouvernement de 1830 crut le trouver dans l’état de guerre permanent