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son sujet ni la discussion ni la comparaison, et vouait ses rares contradicteurs au dédain et à la colère publics. Elle créait sous l’ancien régime des types populaires comme le sergent La Terreur, — sous le nouveau, comme le sergent Chauvin, qui symbolisaient dans l’esprit de la foule les titres à l’admiration publique, des soldats vieillis sous le harnais qu’on appela selon les temps « les vieilles bandes, les grognards, les zouaves etc.[1], » qui faisaient métier du service militaire. Ces soldats-là, qui avaient pourtant le mérite relatif de l’esprit de corps, vont, Dieu merci, disparaître pour toujours. Leurs successeurs ne feront que passer sous le drapeau, mais ils auront le mérite plus solide de l’esprit du pays, fruit des principes nouveaux et de l’éducation nouvelle qu’il faut instituer à tout prix.

Tout dans la légende était brillant, tout était conventionnel aussi, et, au jour où la défaite remplaçait la victoire annoncée, il se trouvait que tout était perdu. C’est par elle que la question des armes, — la période de 1792 à 1800 exceptée, — n’apparut plus à la nation qu’à travers l’illusion et le fracas des grandes revues, des articles de journaux, des ordres du jour emphatiques, « des nombreux et brillans états-majors, » des uniformes éclatans, des excès de décorations françaises et étrangères… Le contre-sens militaire vint s’ajouter, comme il devait inévitablement arriver, à tous les autres contre-sens qui menacent les destinées de la démocratie française.

C’est avec la légende de Fontenoy, de Raucoux et de Lawfeldt que les armées du roi Louis XV allèrent à Rosbach, — avec la légende d’Austerlitz, d’Iéna, de Wagram, que les armées de l’empereur Napoléon Ier allèrent à Moscou, — avec la légende de Sébastopol, de Magenta, de Solferino, que les armées de Napoléon III allèrent à Reichshoffen et à Sedan… Douloureuses et peut-être, hélas ! inutiles leçons de philosophie, de logique et de réalité militaires !

La période de paix que les gouvernemens de la restauration et de juillet donnèrent au pays, — de paix, parce qu’elle ne fut marquée par aucune des grandes guerres qui avaient troublé le passé de l’Europe et qui devaient troubler encore son avenir, — aurait pu être mise à profit par la France pour l’étude approfondie de la réforme de ses vieilles institutions militaires et pour la création des nouvelles. Elle y était conviée par l’exemple de la Prusse, qui

  1. Il va sans dire qu’il ne s’agit ici que des zouaves d’autrefois, dont la participation aux travaux de la conquête algérienne a été considérable et glorieuse, mais qui devinrent avec le temps, en grande majorité, des produits du remplacement. Les zouaves d’aujourd’hui, jeunes et animes de l’esprit nouveau, ont par complément l’esprit de corps resté traditionnel dans ces régimens. Ce sont d’excellentes troupes qui feront revivre à la guerre la renommée de leurs devanciers sans en avoir les défauts.