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vaincus. Ils traversent à leur tour les mers et pénètrent sur le territoire carthaginois. Une grande bataille, une seule, leur en assure la possession, car leurs adversaires, qui n’ont pas d’institutions militaires, sont incapables de refaire, pour l’action, les forces que la richesse avait réunies. Ils succombent pour ne plus se relever.

Les Ottomans, riches des dépouilles de l’Asie, de l’Afrique, d’une part de l’Europe, marchent, depuis la conquête de Constantinople, de victoire en victoire, d’envahissement en envahissement ; ils n’ont pas plus, ils ont moins d’institutions militaires qu’ils n’en ont aujourd’hui. Et cependant ils peuvent opposer un jour, dans la mer Ionienne, aux flottes réunies de la chrétienté de l’Europe méridionale, une flotte de plus de deux cents vaisseaux (galères) portant plus de 30,000 soldats. Cette force navale, l’une des plus puissantes qu’on vit jamais, est anéantie à Lépante, et c’est le 7 octobre 1571 que finit l’effrayant effort sur l’Europe de la conquête ottomane, que commence, pour ne plus s’arrêter, la décadence de l’empire ottoman.

La France, sous l’empereur Napoléon Ier, voit en 1805 ses forces maritimes détruites à Trafalgar. C’est vainement que l’empire, maître à peu près incontesté de l’Europe continentale, s’affirme aux yeux du monde entier par les plus éclatantes manifestations de la puissance militaire et de la richesse. Il n’a pas d’institutions maritimes, bien que subsistent encore théoriquement les règlemens de Colbert, dont les événemens de la révolution ont désorganisé l’application effective. Il ne peut pas refaire sa force navale. Disposant des plus grands ports, des plus grands arsenaux, de frontières maritimes d’une immense étendue[1], d’une population maritime spéciale infiniment nombreuse, il se sent impuissant et il renonce à mettre en œuvre ce vaste ensemble de moyens. A l’apogée de sa domination souveraine et de sa gloire, l’empereur assiste, après la destruction de sa flotte de guerre, à la destruction successive de sa marine de commerce naviguant au long cours et de sa marine côtière. L’homme qui avait entendu imposer à l’Europe entière la loi violente du blocus continental subit dix ans l’humiliation du blocus de tous les ports français. Les Anglais, ses tenaces adversaires, auraient pu perdre une grande bataille navale et recommencer peu après la lutte sur les mers. Ils ont de fortes institutions maritimes dont l’éducation nationale et l’esprit public sont les premiers auxiliaires. Les moyens de création, d’entretien, de renouvellement du personnel et du matériel sont multipliés, puissans, et de simples particuliers entrepreneurs de constructions navales, dans des centres industriels

  1. De la Mer du Nord à l’Adriatique.