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un mari jaloux rentré trop subitement le lieu de sa cachette pour s’être assis par mégarde sur un fauteuil à musique est bien faite pour provoquer le rire ; cependant, si les conséquences en sont un procès infamant pour l’un des coupables et une folie inguérissable pour l’autre, le rire courra risque d’être de durée passagère, et, quand on se rappellera plus tard cette aventure, ce ne sera certainement point la joie aux lèvres et pour s’en faire gloire. Une bonne fortune est donc souvent une méchante action, mais c’est plus souvent encore une méchante affaire où des deux parties engagées c’est invariablement celle dont la nature est supérieure qui est la dupe. A de très rares exceptions près, qu’est-ce qu’une bonne fortune sinon la satisfaction d’une fantaisie vicieuse qui ne peut donner que des résultats vicieux comme elle ? Cependant, par une illusion des plus singulières, beaucoup s’étonnent et se désespèrent de ne pas rencontrer la délicatesse des affections vertueuses là où le mobile unique a été le vice, ce qui est à peu près comme demander au chardon de fleurir à l’égal de la rose. Le vice est de sa nature non-seulement égoïste, mais inéducable ; c’est donc forces perdues que celles que certains hommes, abusés par les paradoxes mis en vogue par des romanciers ou des philosophes plus imaginatifs que sages, dépensent pour lui enseigner le dévoûment et la fidélité. Le récit intitulé Appartement à louer, ingénieuse critique des sophismes répandus à l’envi pendant la jeunesse de l’auteur par le romantisme et le saint-simonisme à la fois, est un démenti avec preuve à l’appui de ces miracles de virginités refaites par l’amour et de cette pureté des affections libres, préconisés à si grand renfort de lyrisme et d’éloquence. Une affection illégitime rencontre-t-elle par exception chez les deux parties une égale noblesse de cœur et une égale élévation d’âme, le mal ne fera que se déplacer, et les fruits n’en seront pas moins amers. Cette affection se prolongera par le fait de ces qualités mêmes, et en se prolongeant elle deviendra cette plus équivoque de toutes les choses, un ménage à la fois clandestin et patent, public et inavoué, dont les tristes conjoints auront à la fois toutes les hontes de l’amour libre sans en avoir les plaisirs et tous les fardeaux du mariage sans en avoir les bénéfices. Même quand elles mériteraient d’être heureuses par les mutuelles vertus des amans, ces affections sont toujours maudites par quelque côté, et ce n’est que justice, car il y a toujours quelqu’un envers qui elles ont commis iniquité, tantôt des parens dont on n’a pu vaincre la sévérité et qui vous tiennent hors de la famille comme vous vous tenez hors de la loi, tantôt un mari outragé qui, même indigne, se venge de l’injure qu’il subit en s’obstinant à vivre, et refuse ainsi aux coupables l’occasion d’effacer leur faute par une union légitime, tantôt enfin des enfans dont le sort ne peut être réglé, et qui