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Le cadre, la mise en scène et les personnages sont heureusement trouvés. L’Alsace, le duché de Bade, les bords du Rhin, tels sont les pays où l’auteur, Alsacien d’origine, a placé invariablement le théâtre de ses fantaisies jusqu’au jour où les événemens l’ont contraint de changer ses préférences et de remplacer la verdoyante sauvagerie du nord par les élégances brûlées de la Provence et du comté de Nice ; c’est donc encore le paysage de l’Allemagne qui sert de décor aux Bonnes fortunes parisiennes. Une bande de Parisiens, réunis par le hasard d’un orage qui les a trempés jusqu’aux os, se trouve réunie dans la salle d’une restauration, tout au haut de la Bastei, montagne pittoresque des environs de Dresde. Ces Parisiens sont de conditions fort diverses. Il y a là un peintre et un colonel de dragons, un avocat et un marin, un notaire et un diplomate, mais ils sont rapprochés par un lien plus fort que toutes les différences de profession et même de rang, la franc-maçonnerie de la vie mondaine qui, s’autorisant de leur commune mésaventure, en a bientôt fait une bande d’amis prêts à tout se confier. Il leur faut tromper les heures en causant, pendant qu’ils se sèchent affublés de toutes les hardes masculines et féminines que le personnel de la restauration a pu leur fournir, mascarade qui ne contribue pas médiocrement à accroître encore la familiarité. Or de quoi causer sinon de cet éternel sujet, si fertile en sa monotonie, sans lequel il n’y aurait ni vaudevilles, ni comédies, ni opéras, ni romans, ni fêtes mondaines, ni mariages heureux ou malheureux, et qu’il serait en conséquence assez difficile de remplacer, l’amour ? Et de quel amour parler entre célibataires dont quelques-uns sont déjà sur le retour, sinon de cet amour qui a pour origine le hasard, pour vertu forcée la discrétion, et dont le dénoûment toujours incertain et obscur varie entre le scandale public et le désespoir secret, c’est-à-dire de ces aventures improprement appelées bonnes fortunes, mais dont le nom véritable serait plutôt chances fatales ou accidens mauvais ?

Dire d’un livre portant pour titre les Bonnes fortunes parisiennes qu’il est de la plus scrupuleuse moralité semble presque un paradoxe et n’est pourtant que l’expression de l’exacte vérité. Dans son ensemble, le livre est une apologie en toutes règles de l’amour légitime qui n’a pas besoin de l’ombre pour le bonheur et du silence pour la sécurité, et chacune de ces nouvelles est un exemple particulier de quelqu’une des conséquences infiniment diverses, mais également désastreuses, qu’entraîne l’amour hors la loi, l’amour de maraude et de buissons. Toute bonne fortune tourne facilement au drame, nous dit la première de ces nouvelles, et il n’y en a guère de plaisantes que dans les vaudevilles et les chansons à boire, plus romanesques en cela que les romans les plus faux. A coup sûr, la mésaventure d’un officier de dragons qui révèle à