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évaluer à 40,000 le nombre des cliens qui alimentent chaque jour ces mauvais lieux. Cela fait donc 40,000 êtres empoisonnés chaque jour par ces vilenies. Faut-il supprimer les cafés-concerts ? Nullement. D’ailleurs ce serait impossible : il faut simplement leur enlever les deux tiers de leur public, en remettant en vigueur l’ordonnance de police de 1864. La foule s’y porte parce qu’on y joue des vaudevilles, des comédies, des opérettes, des drames, des revues de fin d’année. Or, en France et surtout à Paris, la masse est passionnée pour le théâtre. Elle va de préférence aux cafés-concerts parce qu’elle y trouve des avantages de bon marché. Du jour où la chansonnette seule y sera admise en habit de ville et sans mélange de prose, où les costumes châtoyans auront disparu, où le public en un mot n’aura plus aux cafés-concerts l’illusion du théâtre, de ce jour-là leur vogue diminuera, leur clientèle reviendra aux scènes d’ordre élevé, les jeunes gens du Conservatoire n’auront plus la tentation d’échapper aux débuts pénibles de leur carrière en acceptant de forts appointemens ; partant, l’art y gagnera et la morale aussi, qui ne sera plus constamment atteinte par les chansons obscènes ou dangereuses.

Et qu’on ne dise pas que les œuvres débitées dans les lieux publics sont sans influence sur l’esprit, sur la conscience de la masse. Il serait aisé de prouver le contraire, mais ces considérations nous entraîneraient trop loin, et c’est au surplus une vérité évidente pour le plus grand nombre. Contentons-nous de citer le mot effrayant dit il y a une quarantaine d’années par M. Becquerel, directeur de la prison de la Force : « A-t-on joué un mauvais drame nouveau, je m’en aperçois bien vite au nombre des jeunes détenus qui m’arrivent. »


ALBERT DELPIT.