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demi nues et les actrices en maillot remplaçaient l’esprit. On cite dans les théâtres de féerie l’histoire d’un auteur qui, se trouvant avoir écrit une scène absurde, disait : « Nous mettrons là cinquante femmes de plus, et le public ne s’apercevra de rien. » Que pouvait l’administration des beaux-arts contre ces appels incessans aux mauvaises passions et au mauvais goût du public ? Rien. Le décret de 1864 la désarmait. M. Camille Doucet, qui fut directeur général des théâtres au ministère des beaux-arts jusqu’en 1870, tenta de réagir contre cette invasion de l’opérette et de la féerie ; il prodigua les subventions aux entreprises littéraires ; rien n’y fit.

Ainsi la seconde expérience a été identique à la première : de 1864 à 1877, il y a eu autant de faillites, autant de ruines que de 1791 à 1806, et l’art, pendant ces deux périodes, s’est avili peu à peu, le goût du public étant sans cesse atteint par des œuvres malsaines et sans valeur, soutenues par des exhibitions vicieuses. Ces résultats produits par la liberté illimitée des théâtres ont dû frapper bien des esprits éclairés, répondra-t-on. Comment donc se fait-il que pas un ministre n’ait essayé de supprimer ou de modifier ce décret de 1864 ? Sous l’empire, on n’aurait pas osé porter atteinte à un projet longtemps caressé par le souverain ; depuis l’avènement de la république française, les ministres se sont succédé si rapidement au département des beaux-arts qu’ils n’ont pas eu le temps d’élucider la question. Puis, il faut bien le dire, le ministre des beaux-arts est en même temps ministre de l’instruction publique et ministre des cultes : il doit s’occuper de l’université, du clergé, des débats politiques : accablé d’affaires, il prend généralement les théâtres pour une chose sans importance, comme si notre pays ne leur devait pas quelques-unes de ses gloires les moins contestées ! Excepté M. Jules Simon, pas un de ces hommes d’état ne connaissait la question : M. Jules Simon seul a essayé des réformes conçues toutes dans le sens le plus élevé ; mais son passage aux affaires a malheureusement été si court qu’il n’a pu exécuter tous les plans qu’il avait en tête. Enfin le titre même du décret : « Décret sur la liberté des théâtres, » a effrayé le plus grand nombre. Ceux dont l’opinion aurait pu faire poids ont eu peur de passer pour des esprits antilibéraux : ils n’ont pas osé porter atteinte à ce mot de liberté donné à tort à une simple question d’art et de morale publique. Qui sait même si beaucoup n’ont pas cru que, en rétablissant la législation de 1806, ils rétabliraient la censure, ou du moins lui donneraient des armes mieux acérées ? Il est temps de montrer que la censure n’a rien à voir là dedans, car l’empire d’un mot est tel, en France, qu’une expression impropre peut quelquefois empêcher une noble idée d’être mise en lumière.

La censure théâtrale n’existe à l’état officiel qu’à partir de 1702.