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1806, par lequel Napoléon Ier créa une législation répressive. Cette législation demeura en vigueur pendant la restauration, la monarchie de juillet, la république de 1848 et la plus grande partie de l’empire. Quand Napoléon III inclina vers des idées moins autoritaires, quelques écrivains réclamèrent un retour aux doctrines établies par le décret de 1791. Il y eut une sorte de campagne, organisée dans la presse parisienne, pour y amener le gouvernement. Le comte Walewski, esprit modéré, épris de littérature, crut servir la cause de la scène française en poussant l’empereur à décréter l’indépendance des théâtres ; il était alors ministre d’état et des beaux-arts ; plus tard les beaux-arts passèrent au ministère de la maison de l’empereur, dont le portefeuille appartenait au maréchal Vaillant ; mais, quoique absorbé par la politique militante, M. Walewski poursuivait son idée. Ce fut ainsi que, brusquement, sous l’influence de ce conseiller intime, et sous la pression de l’opinion publique égarée, l’empereur malgré les courageux efforts de M. Camille Doucet, fit revivre la législation de 1791 par le décret du 6 janvier 1864.

On le voit, en prenant comme point de départ l’année 1680, date de la création de la Comédie-Française, jusqu’à nos jours, c’est-à-dire pendant une période de 198 ans, les théâtres ont été libres pendant vingt-neuf années seulement, et soumis le reste du temps, à un système répressif. Il est inutile d’appuyer sur la prospérité de la Comédie-Française et de l’Opéra jusqu’à la révolution, leur histoire pendant cette époque se racontant d’elle-même avec les noms resplendissans des maîtres. Mais, en prenant cette histoire au lendemain du décret de l’assemblée nationale constituante, il est aisé de prouver que cette prétendue liberté a toujours été aussi funeste à l’art que nuisible à la prospérité des entreprises théâtrales.


I

Nous avons dit que la pétition des auteurs dramatiques convertie en décret par le vote du 19 janvier 1791 pouvait se résumer en ces mots : « jouer tout et partout. » La majorité des auteurs signataires ne tenait qu’au premier terme de la proposition : jouer tout. Le second terme : jouer partout, fut ajouté par La Harpe de son autorité privée. Deux de ces écrivains, Cailhava et Marie-Joseph Chénier, avaient même exprimé nettement leur opinion. Dans un livre intitulé : Causes de la décadence du théâtre, publié en 1789, Cailhava sollicitait l’établissement d’une seconde Comédie-Française qui fît concurrence à la première et aidât à l’éclosion de jeunes auteurs et de jeunes acteurs : idée qu’a réalisée depuis la