Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son émotion. Benjamm Constant, Manuel, Laffitte, Casimir Perier multipliaient les accusations contre le ministère, réclamaient la suspension des séances de la chambre, la réunion de la garde nationale. Menacé à chaque instant d’être vaincu par le mal, De Serré retrouvait une énergie nouvelle et un courage à la hauteur des circonstances.

Certes il éprouvait autant de chagrin que qui que ce soit de la situation de Paris. Il avait avec ses collègues la responsabilité de la paix à maintenir ou à rétablir dans la ville ; seul pendant quelques jours, il portait devant la chambre le poids de la défense du gouvernement, faisant face à tout le monde avec une intrépidité, une énergie, une puissance de parole, qui ont fait dire depuis au duc de Broglie, témoin de ces scènes, que c’était « une lutte homérique. » Il ne se bornait pas à se défendre, il marchait droit sur ses adversaires, qu’il accusait d’avoir allumé et d’entretenir l’agitation par leurs discours. « On vient de chercher à exciter votre douleur et votre indignation, disait-il. Ces sentimens sont justes, ils doivent être profonds ; mais l’indignation doit surtout remonter aux auteurs de cette rébellion, aux hommes qui l’ont depuis longtemps préparée et qui maintenant la dirigent… Que penserez-vous de tous les efforts faits à cette tribune pour enflammer les esprits, pour les pousser aux dernières extrémités, pour diriger toute l’animadversion contre le gouvernement, pour ajouter aux malheurs, au sang versé ? Nous la redoutions, cette effusion du sang, aux premières paroles incendiaires qu’à notre arrivée dans cette chambre nous entendîmes proférer. Nous nous élançâmes à la tribune et nous dîmes : Si la révolte éclate, le sang versé retombera sur vous. Que penserez-vous de ces attaques violentes dirigées contre des lois que vous avez vous-mêmes rendues dans cette session ? Je dirai qu’alors, loin de vous, je voyais avec douleur rendre ces lois, qui ne me paraissaient pas suffisamment nécessaires, mais dont les événemens d’aujourd’hui ne justifient que trop bien la nécessité… » Et lorsqu’on proposait de suspendre les séances de la chambre, comme si la voix du parlement devait se taire devant la sédition, De Serre se relevait avec fierté, et répliquait d’une parole dominatrice : « Je n’ai qu’un mot à dire de la proposition qui vous est faite de suspendre vos délibérations. Ce n’est qu’un prétexte sans doute, mais c’est un honteux prétexte. Ce qu’on vous propose serait une lâcheté. Si véritablement il y avait danger pour vous, il ne faudrait pas suspendre vos délibérations, il faudrait faire ce que font en tous pays les assemblées délibérantes dans les circonstances périlleuses : elles se déclarent en permanence. C’est alors que les grands conseils nationaux entourent le trône de leurs forces et de leurs secours… »