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sous le climat vivifiant du Midi. Au fond il ne se désintéressait de rien et il se méprenait encore moins sur la gravité de la situation, sur le trouble des esprits, dont il retrouvait l’expression dans toutes les lettres qui lui arrivaient chaque jour. Il ressentait vivement, il s’exagérait peut-être la part que ses amis les doctrinaires avaient eue au dernier moment dans la chute de M. Decazes, — en l’abandonnant « par orgueil, » disait-il, « en le mettant à la discrétion des ultras. » Il ne voyait pas sans un secret serrement de cœur ces hommes d’une intelligence supérieure s’engager dans une opposition qui allait en croissant. Il gardait cependant toujours avec eux ses habitudes de cordialité, et il ne désespérait pas de les retenir ou de les ramener. Ses lettres mettaient du baume sur les blessures de Royer-Collard, au dire de La Boulaye, et à la duchesse de Broglie il répondait avec la grâce émue et sérieuse d’une noble amitié :


« Que je vous sais gré d’avoir dans des momens aussi douloureux éprouvé le besoin de partager avec moi les impressions que vous en avez ressenties ! C’était une des consolations que je pouvais recevoir. Je vous sais plus de gré encore de la manière dont vous sentez nos malheurs ; une âme comme la vôtre a dû être déchirée, bouleversée de pareils événemens… À travers ces idées, lugubres, entouré d’un horizon si sombre, je ne puis cependant pas désespérer. C’est dans ce sens que j’ai écrit à votre cher Victor. De quelque côté que je retourne le grand problème qui nous occupe tous, j’arrive toujours au même résultat. Attaquons-le par la liberté : pour la fonder, il faut affermir les Bourbons, et pour affermir ceux-ci, il faut toujours en revenir à fonder la liberté. Ces deux causes me paraissent également saintes. Hors de là je ne vois que subversion et néant. Je comprends bien que nous ne sommes pas dignes encore de la liberté ; mais heureusement elle nous est nécessaire, heureusement aussi la royauté ne nous l’est pas moins… Que votre cher Victor se maintienne, comme il le dit, dans l’indépendance, mais dans une indépendance élevée qui plane sur les partis et ne relève que de la vérité et du devoir. Il est un des plus beaux espoirs de notre France. Qu’il se conserve pour elle dans cette pureté, cette chasteté d’âme que Dieu a mise en lui. Son nom se rattache aux deux causes que mon cœur et ma raison embrassent également comme indissolubles… »


Dans cette vie de retraite et de repos dont il subissait l’obligation cruelle, qui n’était agitée que par les bruits venus de Paris, De Serre avait le temps de se recueillir et de s’interroger, mêlant parfois à ses méditations la lecture d’un livre de De Maistre ou d’Ivanhoe, le dernier roman de Walter Scott. Sans avoir le fardeau des affaires, il