Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/530

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rudes coups n’a-t-elle point parés ! Elle surmonta aussi celui-là, ressaisit le glaive, et sans pitié frappa tous les dissidens qu’elle pouvait atteindre. Les amis du protestantisme, ceux qui du moins avaient adhéré mentalement à quelques-unes de ses propositions, eurent à choisir entre l’exil et le bûcher. Les plus résolus passèrent les Alpes et se livrèrent à Luther corps et âme, comme ce Fra Bernardine, le général des capucins, et Pier Martire Vermigli, chanoine des Augustins à Fiesole. Vittoria Colonna n’avait jamais eu l’idée de changer de religion, ses élancemens n’allaient guère au-delà d’une réforme dans les pratiques du culte et d’une épuration dans la morale. Elle croyait fermement que l’âme pouvait se sauver par les actes et sans l’intervention des anges et des saints. Telle est aussi l’opinion de Michel-Ange dans ses vers, et des cardinaux Pole et Contarini dans leurs lettres ; mais ni Vittoria, ni Michel-Ange, ni les cardinaux ne prétendaient davantage, ils voulaient sur toute chose le bien de l’église et son unité, et plutôt que d’y porter atteinte ils se résignèrent. N’oublions pas non plus de tenir compte du rôle que joua en tout ceci l’esprit de conservatisme propre à la nation italienne, son goût caractéristique de la tradition, et son imprescriptible attachement au vieux dogme. « Les Italiens, remarque M. Karl Frenzel dans son livre sur la Renaissance, les Italiens se gaussent de l’église, de la papauté et de la moinerie ; mais, tout en s’en gaussant, ils s’y soumettent. » Rien de plus juste, et la meilleure preuve c’est que dans cette contradiction le plus effronté des conteurs et la muse des harmonies dévotes, Boccace et Vittoria Colonna, ont pu se rencontrer. Ce joug des pratiques extérieures auquel elle se plie n’empêche point chez une Vittoria le libre essor de l’âme, et, d’autre part, Boccace, en dépit de sa littérature irrévérencieuse jusqu’au cynisme, Boccace, incrédule aux reliques, railleur impitoyable de la vie des cloîtres, mourra très benoîtement dans le sein de cette église, de ce papisme et de ce monachisme qu’il n’a cessé de bafouer. Italienne et catholique sincère, Vittoria s’efforça d’imposer silence à ses troubles d’esprit, qu’elle étouffa sous des formules de dévotion. Et si l’on voulait y regarder de près, combien d’illustres saintes qu’on vénère n’encourraient-elles pas ce blâme d’avoir émis des pensées souvent plus en rapport avec l’esprit de la réformation qu’avec la hiérarchie ; n’est-ce pas Catherine de Sienne qui traitait d’abomination païenne le pouvoir temporel, et Thérèse d’Avila, sainte Thérèse, quel moyen de salut invoquait-elle sinon l’embrasement de l’être par l’amour ?

Chez Vittoria Colonna vit et respire quelque chose de cette rêverie mystique, de cette religion du sentiment qui, même alors qu’elle se soumet le plus humblement aux prescriptions de l’église,