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se recueillir et la papauté se retremper. L’orage qui soufflait du nord changea, retourna l’atmosphère, et plus sûrement que le protestantisme du dehors, plus que la défection de l’Allemagne, de la Suisse et de l’Angleterre, le sac de Rome par les bandes espagnoles et germaniques amena cette évolution morale. Qu’on songe aux rapports intimes qui unissent à cette époque l’histoire de la papauté au développement de tous les arts, au mouvement universel de la culture en Italie, et qu’on se représente ce que furent pour la papauté comme pour les arts ces abominables journées de pillage, de tuerie et de dévastation qui s’appellent le sac de Rome, et vous remettent en mémoire les horreurs du siège de Jérusalem par Titus. Ce fut comme un coup de foudre qui vint clore l’ère joyeuse des Raphaël, des Arioste ; adieu ce beau rêve d’antiquité, de philosophie, de platonisme et d’humanisme ! La question religieuse renaît plus vivace ; elle agite, passionne les esprits et les âmes. Catholicisme et protestantisme, il n’y eut désormais plus d’autres sujets d’entretien dans ces hautes réunions qui naguère ne s’échauffaient que pour la littérature et les arts. L’esprit de réforme, sinon de la réforme, gagna peu à peu du terrain, on vit des hommes tels que le cardinal Contarini et le cardinal Pole incliner à la conception de Luther, touchant certains points du dogme. À leur tour, les femmes s’en mêlèrent ; à Ferrare, Renée de Valois se lit calviniste, et vers 1540, un petit livre intitulé : de la Bienfaisance du Christ obtint partout une si grande publicité que l’Inquisition le poursuivit comme dépréciant le mérite des saints et propageant parmi les moines et beaucoup de prélats des doctrines contraires à l’orthodoxie.

Pour être toujours restées, en Italie, dans le domaine de la spéculation et n’avoir point remué les masses comme en Allemagne, ces idées eurent sur le clergé, les savans et la noblesse une influence très marquée. Vittoria Colonna et sa famille s’y rallièrent. Une de ses parentes même se signala par l’excès de son zèle théologique : j’ai nommé Julie de Gonzague, femme de Vespasiano Colonna, celle qu’on proclamait la plus belle créature de l’Italie et dont la renommée avait pénétré jusque dans le sérail du sultan de Constantinople. Mais, je le répète, ce mouvement ne sortit pas des limites d’un certain monde. Il y eut simplement des tendances, des conversations entre amis plus ou moins vives, où ces hommes distingués et ces aimables doctoresses ne s’entendaient même pas toujours. Pour enflammer pareils débats et les transporter du salon dans la place publique, il faut autre chose que des beaux esprits et des belles dames ; Savonarole eût peut-être été l’homme de la circonstance, si d’avance Alexandre VI n’eût pris ses mesures en