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tourne à la phrase, au pathos. Vous croiriez contempler Artémise drapée dans ses voiles funèbres et serrant contre son cœur l’urne tragique : poésie sans originalité comme sans naturel, poésie voulue.


VII. — LA POESIE LYRIQUE ITALIENNE AU XVIe SIÈCLE. — COMMENT LAURENT LE MAGNIFIQUE DEVINT POETE. — LES POESIES DE MICHEL-ANGE. — ELLE ET LUI. PLATONISME.

Tout le lyrisme italien de la renaissance en est là. Tout le monde alors fait des vers ; les savans, les prélats, les capitaines s’en escriment. Nul besoin d’ailleurs d’être poète ; il suffit de s’abandonner au flot limpide, harmonieux de cette langue qui, avec ses rimes faciles, ses cadences et ses redondances, ne demande pas mieux que de se charger de toute la besogne, à peu près comme un instrument qui chanterait tout seul, sous la main du premier venu, des airs, que le vulgaire confondrait aisément avec ceux de Mozart[1]. Les poésies grecques et latines de Politien sentent l’huile de lampe beaucoup plus que la rose de Pœstum ; mais qu’il plaise à ces platoniciens, à ces humanistes d’accorder leur luth sur le mode italien, et vous serez émerveillé de la quantité d’aimables choses qu’ils vont vous chanter sans y croire. Laurent le Magnifique nous raconte lui-même comment l’idée le prit d’aller se promener au pays du Tendree« t d’y visiter la source aux sonnets d’amour. « Une jeune dame était morte dans la ville ; lorsque son corps fut portée en terre, le visage découvert, tous ceux qui l’avaient connue et admirée l’accompagnèrent. C’était à qui, une dernière fois, contemplerait ce doux et beau visage où la mort même semblait aimable. À cette occasion, tout l’esprit des Florentins et toute leur éloquence se donna cours, aussi bien en prose qu’en vers. Je composai pour ma part deux sonnets et, voulant encore augmenter l’intérêt de la chose, je me montai la tête pour me persuader que j’avais aimé cette noble personne et que je venais de perdre en elle l’objet de ma plus fidèle tendresse. Je m’efforçai d’éveiller dans mon âme tout ce qu’elle pouvait contenir d’émotion

  1. Laurent de Médicis loue quelque part l’organiste Squarcialupi d’avoir fait de la musique une quatrième grâce : Quartam sibi viderentur Charites musicam adscivisse sororem. Cette souriante poésie de la renaissance, toujours accorte et prête à se donner par surcroît, elle aussi, n’est-elle pas une quatrième grâce venue en lignée directe de Pétrarque. Dante est le dernier homme du moyen âge, et Pétrarque, — le plus cultivé des esprits, un Cicéron pour sa vaste intelligence, presqu’un Rousseau pour son vif sentiment de la nature, ermite à Vaucluse et répandu dans toutes les cours d’Europe, républicain que festoient tous les princes, allant de saint Augustin et de saint Jérôme à Virgile, amoureux, croyant, sceptique, troubadour, toujours en contradiction avec lui-même et toujours d’accord et s’agitant, — Pétrarque est le premier homme de la renaissance.