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rêvait à des combinaisons harmoniques tandis que Michel-Ange scandait un sonnet pour sa maîtresse, celui-ci par exemple, d’allure toute juvénile et s’enlevant allègrement sur le fond grisâtre à l’ordinaire de ses poésies :

Combien ce cercle d’or est heureux de presser
Ainsi tes cheveux blonds, et quelle joie encore
Ne ressent-elle point, la fleur qui le décore
D’appuyer à ton front comme un premier baiser !

Heureuse la tunique avide à t’enlacer,
Qui de ses plis charmans te revêt dès l’aurore
Et laisse à nu ton col qu’un rayon du jour dore
Et qu’un flot de cheveux s’amuse à caresser ;

Et fortuné surtout, divine créature,
Le ruban qui s’enroule autour de ta ceinture,
Et te voyant rêver, va soupirant tout bas :

« Oh ! laisse-moi toujours te serrer et t’étreindre,
« Laisse-moi sur ton sein, ma beauté, sans rien craindre,
« Je ne suis qu’un ruban, mais si j’étais un bras…[1] »

Ces vers, pour l’agréable humeur et l’air de jeunesse, pourraient être du Raphaël des sonnets, ce qui prouve que dans le monde du XVIe siècle les caractères n’étaient point tout d’une pièce ainsi que souvent on incline à le croire, et que si les efféminés savaient être virils, les plus austères étaient également très capables de sacrifier aux grâces par momens. Les souvenirs de Florence, du bell’ovile paternel, comme dit Dante, recommandaient donc Michel-Ange à la faveur de Léon X, et dès lors Raphaël et lui occupèrent un rang exceptionnel. Raphaël menait le train d’un grand seigneur, il avait de l’argent, une escorte, un palais construit par Bramante, et Michel-Ange, pour ne marcher environné ni de cet éclat ni de ce prestige, n’en exerçait pas moins, sur tout ce qui se rattachait aux arts, une autorité souveraine, une vraie royauté dont l’investissaient l’indépendance et la majesté de sa personne. Raphaël mort, il se trouva seul sans que l’ombre d’un rival ou d’un compétiteur vînt l’offusquer. De cette période, qui dut être la plus heureuse de sa vie, on sait peu de chose. C’est seulement en 1527 que nous le revoyons, mais alors sur le seuil de l’âge, se mêlant aux événemens qui pendant une longue suite d’années vont le disputer à ses travaux, et, tandis que tout meurt à ses côtés, ne se détournant

  1. Cette réticence finale fait songer au cygne de Léda, qui, lui aussi, bat des ailes au devant de la Beauté, et ne dit pas tout ce qu’il désire. Curieux rapprochement, et que nous sommes loin du Michel-Ange de la Sixtine ! Mais la renaissance a ce double courant, et c’est le cas de s’écrier : Ut pictura poesis ! Poésie et peinture, qui par leur côté licencieux effaroucheraient un Giotto, mais qu’en revanche devait fort apprécier le Goethe des Élégies romaines.