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chansons perdues se dégage un vague roman dont le mystère même répond à la pensée qu’on a de l’existence de Raphaël et du poème de son âme.


II. — ROME SOUS JULES II ET LÉON X. — RAPHAËL ET MICHEL-ANGE. — RAPPORTS MUTUELS.

Si agréable que soit la période d’Urbin, il faut vite la traverser, et rapidement tendre vers Rome, qui fut la véritable atmosphère de Raphaël. Là, près de Jules II, se développe et grandit son génie. Les impressions de jeunesse, les rapports avec Pérugin et Francia n’ont qu’une valeur accidentelle. La période de formation chez de pareils hommes conserve toujours quelque effacement. « Regarde Raphaël, et considère comme, en voyant Michel-Ange, il a dépouillé Pérugin. » Cette parole de Jules II est prophétique. À Rome seulement, Raphaël commence à respirer, à se mouvoir librement, à sentir la suprême force de sa vocation. Un héritage immense l’y attendait, qu’il saisit d’une main puissante et dont il va se montrer digne. Peu à peu il s’identifie avec le présent, évoque le passé, prépare l’avenir : je ne parle pas du Vatican, dont il dirige les travaux, c’est la ville même de Rome qu’il rétablit presque dans son ancienne grandeur. Il peint d’abord un mur du Vatican, puis tout l’édifice, puis la cathédrale de Saint-Pierre, puis les maisons, les palais, les églises et finalement s’attaque à la ville tout entière qu’il rêve de rétablir dans son antique royauté. Comme Michel-Ange personnifie la grandeur et la décadence de Florence, ainsi dans Raphaël s’incarne cette idée de souveraine renaissance et de domination universelle sous Jules II et Léon X. Songe rapide et radieux où s’abîma l’existence du jeune héros, qui mourut, on le sait, d’une fièvre dont il fut saisi pendant ses recherches et ses fouilles ! Quel autre fond que celui-là donner à sa figure : derrière lui, tout ce qui n’est point Rome est ombre, il s’en détache. Autant Michel-Ange tient à sa chère Florence, vers laquelle il revient toujours, autant il semble que Raphaël oublie Urbin d’un cœur léger. Non pas qu’il en rougisse, à Dieu ne plaise, mais il n’a le temps ni l’humeur d’y penser.

Parmi les nombreuses légendes répandues sur Michel-Ange, on en cite une qui nous le représente dans un paroxysme d’élucubration, mettant en croix son modèle afin d’étudier sur le vif les douleurs du divin martyr et d’en mieux rendre l’expression. Rien de semblable ne se dira de Raphaël, et c’est du côté des tendresses du cœur, de l’ardeur des sens, des fiévreuses aspirations et délicatesses d’une nature pétrie d’élégance féminine et d’orgueil viril, que l’invention prendra carrière. Alors qu’on supposerait que l’histoire