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simple mouvement des choses et qu’il ait voulu soit témoigner à sa maîtresse un amour extraordinaire, soit récompenser en elle une fidélité à toute épreuve ; il ne dit point non plus que cette personne ait toujours vécu près de Raphaël, ni qu’elle ait été son unique amour ; parlant des portraits de femmes peints par Raphaël, il écrit : Ritrasse Beatrice Ferrarese ed altre donne e particularmente quella sua ed altre infinite, et Passavant veut que cet adverbe signifie que Raphaël a reproduit mainte fois l’image de sa maîtresse, comme si particularmente ne pouvait pas tout aussi bien s’appliquer au soin curieux, spécial, avec lequel l’artiste se serait adonné à son travail. Ce qu’il y a de certain c’est que nous possédons au moins un portrait d’une des maîtresses de Raphaël, car il est hors de doute que le nom que la jeune femme porte inscrit sur son bracelet, ce nom de Raphaël, soit placé là comme un symbole de possession. Ce portrait, qui se trouve au palais Barberini, nous montre une jeune fille demi-nue assise dans un bois de myrtes et de lauriers ; une étoffe jaune rayée entoure sa tête comme un turban et donne à ses traits, d’ailleurs peu animés, quelque chose de distingué et de charmant. de sa main droite, elle retient contre sa poitrine une gaze légère ; sur ses genoux, couverts d’une draperie rouge, repose son bras gauche, orné entre le coude et l’épaule d’un bracelet d’or où se lit le nom de Raphaël tracé avec le plus grand soin. Passavant date ce portrait de 1409 et n’hésite pas à dénoncer dans la personne qu’il représente la maîtresse de Raphaël, celle-là même à qui les sonnets sont adressés[1].

Dans le même volume, il refuse au portrait de femme figurant à Florence dans la galerie des Offices toute espèce de droits à prétendre reproduire à nos yeux l’image chère au cœur du grand artiste, tandis qu’il va de plein gré accorder cet honneur au cadre du palais Pitti, lequel devrait à certains airs de famille avec la Madone de Saint-Sixte du musée de Dresde le double mérite de passer pour être de Raphaël et pour représenter la bien-aimée. Ce

  1. « Éclatante de jeunesse, cette belle personne est assise à demi nue au milieu d’une riche végétation. Une draperie jaune rayée entoure sa tête, et ses cheveux sont retenus par un cercle d’or avec des feuilles et des fleurs garnies de pierres précieuses ; d’une main elle se couvre jusqu’aux seins avec une légère étoffe, et sa main gauche est posée sur ses genoux, enveloppés d’une draperie rouge. Sur le bracelet qu’elle porte au bras gauche se trouve cette inscription : Raphaël Urbinas. Le regard et l’expression de cette femme ont quelque chose d’ingénu et de sensuel tout à la fois ; mais les traits n’ont rien de très animé ni de très fin, le nez même est un peu lourd. A en juger par la manière de faire de cet ouvrage et aussi eu égard aux sonnets amoureux que Raphaël fit vers cette époque, nous datons ce portrait de cette époque et nous pensons qu’il peut avoir été fait par conséquent en même temps que le portrait du peintre lui-même. » Passavant, t. II, p. 276.