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Deux siècles encore, et le même contraste se reproduira dans Beethoven et dans Mozart[1]. Michel-Ange d’abord, puis Léonard, puis Raphaël, ainsi prononçait l’opinion du temps, qui du reste n’a guère varié par la suite ; mais Raphaël a sur les autres l’avantage de sa poétique existence. Raphaël est une légende ; il naît, éblouit le monde et s’éteint dans sa gloire comme le soleil. « Ta vie vaut mieux que ta parole, et ta parole mieux que tes écrits, » disait à Goethe un de ses amis, et Vittoria Colonna, parlant à Michel-Ange, mettait son caractère encore bien au-dessus de ses œuvres. Quant au charme qu’exerçait la présence de Raphaël, ceux-là même qui vécurent près de lui ne se l’expliquaient pas. Ajoutons que, pour être rares, ces natures-là n’ont jamais cessé de se reproduire ; l’espèce, grâce à Dieu, ne s’en perdra pas, et notre siècle en a connu plus d’un. Mais ces personnages dont je parle ont trop souvent leurs points critiques, et, la première admiration passée, vous découvrez, à travers un capital énorme d’activité, un certain fonds de charlatanisme ; sur leurs gestes comme sur leur volonté plane un voile mystérieux destiné à promettre beaucoup en ne laissant rien voir, et si par hasard un vent qui souffle en écarte les plis, ce que vous apercevez alors, ce qu’on vous dérobait, n’est que misère, vide et néant. Vous assistez au spectacle d’une existence arrangée uniquement pour l’effet et qui, vue en toute lumière, en plein travail, en plein courant d’humanité, ne vous semble plus qu’une immense jonglerie. Les purs génies possèdent seuls le privilège de n’avoir à redouter aucune clarté. « La première condition du génie, disait Goethe, c’est la vérité, » et s’il y a quelqu’un à qui ce précepte puisse s’appliquer, c’est Raphaël ; ne cherchons plus, le mot du penseur de Weimar éclaire tout, l’individu, l’œuvre, l’existence et le charme infini qui de ce nom même se dégage comme un parfum de fleur céleste.

Raphaël poète a composé quatre sonnets, bagage d’autant plus mince qu’il n’y en a dans le nombre que trois de complets ; ces vers n’ont rien d’original, et leur principal mérite est qu’ils sont de Raphaël. Ce que vaut toute cette poésie de la renaissance, nous le dirons plus loin à propos des sonnets de Michel-Ange et des élégies de Vittoria Colonna ; pour le moment, notre intérêt s’attache ailleurs. Que savons-nous de ces sonnets ? Qu’ils ont pour

  1. Raphaël et Mozart, entre tant de rapports sur lesquels il faudrait toujours revenir, ont encore cela de commun que leurs beautés, accessibles aux intelligences les plus simples, satisfont également aux plus hautes exigences de l’art le plus savant. C’est un signe particulier de la grandeur de Raphaël, que ses tableaux ne perdent rien de leur harmonie en passant par la gravure, et c’est aussi le signe particulier de la musique dramatique de Mozart de conserver ses avantages même en dehors du théâtre.