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confiscation de leurs biens au profit du roy et à être conduits, tête et pieds nus, en chemise et la corde au col, sur la place publique d’Auray, lieu accoustumé aux exécutions de la haute justice, pour y être pendus et étranglés jusqu’à extermination de vie. » Toutefois ce châtiment exemplaire ne parvint pas à triompher de l’obstination des Bretons, et longtemps encore les mêmes scènes d’intolérance devaient se reproduire dans le pays.

Presqu’au moment où paraissait l’arrêt du parlement de Rennes, M. du Bois-Baillet, intendant du Béarn, instruit de la misérable situation des cagots, pensa qu’il serait humain et fructueux à la fois d’obtenir pour ces malheureux le redressement de tous leurs griefs moyennant une légère contribution qu’ils paieraient au trésor. Il en écrivit d’abord à Colbert, qui accueillit favorablement sa proposition, puis un peu après à Le Pelletier, qui venait de succéder au grand ministre comme contrôleur des finances. D’après ses calculs, la contribution ne pouvait donner moins de 45,000 ou 50,000 livres, ce qui, à raison de 2 louis d’or par tête, le louis d’or valant alors 10 livres, porterait à 2,000 ou 2,500 environ le chiffre des parias qui existaient dans la province. A cette communication était joint un mémoire sur l’état des cagots ainsi qu’un projet de déclaration royale ou lettres patentes qui furent en effet signées par Louis XIV dans le courant de cette même année 1683. La pièce est longue, curieuse et mérite d’être résumée : « Désirant, disait le roi, effacer toutes les marques de l’esclavage qui peuvent encore rester sur les terres de notre obéissance et lever toutes les distinctions qui n’estant établies que sur une erreur populaire ne servent qu’à troubler la concorde entre nos sujets… A cet effet, abolissons les noms de christians, cagots, agots et capots, faisons défense d’appeler ainsi par injure nosdits sujets affranchis par lesdites lettres. Voulons qu’ils soient admis aux ordres sacrés et reçus dans les monastères, qu’ils soient placés dans les paroisses de leur demeure indifféremment avec les autres habitans… Permettons à nos sujets affranchis de choisir leurs habitations où bon leur semblera, même dans les villes. Voulons qu’ils puissent être choisis pour toutes les charges des communautés dans lesquelles ils feront leur demeure, tant honorables qu’onéreuses… Levons les défenses qui leur sont faites de contracter mariage avec nos autres sujets. Laissons liberté de choisir telle profession qu’il leur plaira… Permettons de porter pour la défense de leur vie les armes permises par nos ordonnances… » Malheureusement, là aussi, le préjugé était trop fortement enraciné ; en vain les parlemens de Navarre, de Bordeaux, de Toulouse, intervinrent-ils tour à tour pour que l’ordonnance royale ne restât pas lettre morte ; les cagots avaient bien