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nettes de leurs corps, exemptes de toutes maladies contagieuses et sans aucune disposition à des maladies qui dût les séparer de la compagnie des autres hommes. Treize ans après, un conseiller du parlement de Bordeaux, Florimond de Rœmond, écrivait à propos des gahets : « J’ai toujours pensé que cette ladrerie corporelle qu’on leur attribue provient de la ladrerie spirituelle de leurs pères, car les médecins ne sont pas d’accord que ces hommes soient tachés d’aucun mal contagieux… D’ailleurs ils sont forts, robustes et gaillards comme le reste du peuple. » Enfin, dans le même temps, on procédait en Béarn à des enquêtes semblables qui toutes donnaient le même résultat.

Quoi qu’il en soit, c’est le parlement de Rennes qui ose en France prendre l’initiative d’une réforme. En 1681, sur les instances de Pierre Hévin, savant jurisconsulte et avocat, un arrêt rendu en faveur des caquins du hameau de Kerroch ordonne qu’ils seront traités comme les autres habitans de Saint-Caradec-Hennebon, leur paroisse, et déclare abolies à l’avenir ces dénominations de lépreux, ladres ou caquins ; l’arrêt porte en outre qu’il a été mal et abusivement ordonné par Mgr l’évêque de Vannes en 1633 quand il décidait que les femmes desdits exposans ne seraient purifiées que dans leur chapelle particulière. Par malheur, les préjugés populaires ne se détruisent pas d’un coup de plume ; une chose indignait surtout, c’est que les parias pussent désormais être enterrés, eux aussi, sous les dalles de l’église, selon l’usage du temps. Moins de six ans après l’arrêt du parlement, deux des cordiers de la caquinerie de Pluvigner étant morts, malgré la présence des autorités et le courage du recteur de la paroisse, la foule irritée se rua sur les corps et les chassa de l’église. Survint un nouveau décès chez les caquins ; cette fois ce furent les femmes qui saisirent la bière et l’allèrent jeter sur le chemin de la corderie. Pour mettre fin à ces désordres, le sénéchal de la cour royale, d’Auray se rendit sur les lieux en grande pompe, et fit former le cortège dont il prit la tête ; mais, accueilli par des injures et par des coups de pierres, puis, bloqué dans l’église où il était entré avec le convoi, il eut grand’peine à se dégager. Derrière lui, on se hâtait de déterrer le cadavre et de le jeter de nouveau sur la grande route. Pour le coup, c’en était trop, et force devait rester à la loi. En effet, quelques jours après, le corps fut réintégré dans sa sépulture à l’église par les soins de la maréchaussée ; en même temps un certain nombre des mutins étaient envoyés à la maison d’arrêt pour y être « nourris au pain du roy » en attendant la sentence de la cour. Ils l’attendirent près d’un an ; six des accusés furent frappés de différentes peines ; les deux plus coupables, homme et femme, étaient condamnés « à la