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lui suggéra la pensée de récompenser Shelburne en l’élevant d’un degré dans la hiérarchie des pairs. Shelburne choisit le titre de lord Lansdowne qui avait appartenu à la famille de sa première femme, et il se réserva d’être promu duc, si le roi ne persistait pas à garder ce rang pour les membres de la famille royale.


V

Retiré sur ses terres, loin du théâtre de la politique active, Shelburne ne cessait de porter ses réflexions sur toutes les misères qui affligent l’humanité : l’ignorance, l’ivrognerie, l’isolement des individus, l’ennui de la vie populaire qui n’est embellie par aucune fête ; il cherchait à favoriser les associations, à répandre l’instruction et une religion plus simple, mieux appropriée à la culture et aux loisirs incomplets du peuple. Mais ses pensées généreuses et ses tentatives de réformes se heurtaient contre l’étroitesse d’un clergé jaloux de sa domination et qui craignait toujours de voir l’influence lui échapper et les populations passer à la dissidence. Persuadé que les classes moyennes et manufacturières ne tarderaient pas à prendre une place prépondérante dans les conseils du gouvernement, il était impatient de répandre parmi elles des vues saines sur l’économie politique, et il encourageait la traduction de la Vie de Turgot par Condorcet pour servir à cette utile propagande. Turgot n’était pas à ses yeux un homme d’état de premier ordre ; mais il professait une haute estime pour son caractère, et il avait pris feu pour son idée d’établir certains principes fixes et fondamentaux sur la législation, le commerce, la moralité et la politique qui pourraient embrasser toutes les religions et tous les peuples. Fidèle à la pratique du self-government, il ne pouvait pas partager le sentiment de Turgot et des économistes français, qui paraissaient croire que la supériorité de la monarchie consistait dans la facilité qu’elle ménage aux réformateurs de mettre en vigueur leurs idées, malgré les préjugés populaires. Il pensait que tous les maux qui accompagnent ces coups d’autorité dépassent de beaucoup les avantages immédiats de ces réformes. Il était tout aussi prononcé contre les interventions étrangères dans les affaires d’une autre nation. « Un pays opprimé, disait-il, doit reconquérir lui-même sa liberté sans recourir à un sauveur étranger, » et il allait jusqu’à penser que l’Amérique aurait pu se passer de l’aide de la France. Tout entier à ces rêves de paix et de fraternité entre les peuples, il aurait voulu organiser une propagande active, et il pensait à fonder un journal, « le Neutre, » qui serait consacré à la défense de la liberté commerciale. « Laissez, disait-il au docteur Price, les théologiens et les archevêques se tuer