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liste civile, on l’a vu attaquer très vivement ces théories perfides qui, sous le nom de prérogative royale, voulaient ramener les procédés les plus détestés des Stuarts et supprimer le gouvernement du pays par le pays.

D’autre part, Shelburne n’avait pas le respect superstitieux du parti whig, et il ne pouvait pas se persuader que le salut du gouvernement parlementaire fût attaché à la présence de certaines familles dans le cabinet. Une longue jouissance du pouvoir stérilise un parti, dit M. Laugel dans ses belles Études sur l’Angleterre, lui ôte l’invention, le ressort ; il devient comme une terre qu’il faut mettre en jachère. C’était l’avis de Shelburne, qui était trop perspicace pour se laisser prendre à toutes les déclamations sur les vœux du parlement dont les orateurs whigs faisaient retentir le pays. « Il est vain de prétendre que la nation veut ceci, ne veut pas cela ; ce n’est pas la nation, c’est le parlement qui parle, et un parlement inspiré par des ministres qui ne sont eux-mêmes que des créatures du roi. Le parlement est plein d’hommes en places, de traitans et de fournisseurs, et, quant à l’intérêt des propriétaires sur lequel on s’appuie si souvent, il ne représente pas l’intérêt de toute la nation, ni toujours de la partie la plus éclairée de la nation. » En véritable homme d’état, Shelburne ne se laissait pas enfermer dans une théorie artificielle, et n’arrêtait pas son attention et ses sympathies aux frontières étroites du pays légal. Devant un parlement dont l’élection était si véreuse, et devant des votes dont il connaissait la vénalité, il ne pouvait pas s’incliner comme devant la majesté de la nation.

Shelburne était un partisan sincère du système constitutionnel et voulait conserver à chacun de ses élémens sa fonction et sa raison d’être. S’il soutenait contre les whigs l’initiative et l’indépendance de ; la royauté, il n’était pas moins jaloux qu’eux des pouvoirs des communes, et à propos de l’élévation à la pairie de lord Germaine (1780), il exposait sa théorie dans toute sa netteté. Il trouvait légitime que le roi eût son opinion sur les diverses questions de la politique, qu’il suivît avec attention les affaires du pays et qu’il fût même, selon une expression malsonnante, son propre ministre ; mais pour maintenir la prérogative royale dans les limites de la constitution, pour sauver la liberté du pays, il demandait un parlement indépendant, honnête ; et quand il ne voyait en face de la couronne qu’une chambre corrompue, créature des ministres, il jugeait que les règles du jeu constitutionnel étaient foulées aux pieds et que la prospérité du. pays était en péril.

C’était pour des situations pareilles que l’existence d’une chambre haute, composée d’une aristocratie indépendante par position et