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honorifique lui avait été décerné en considération de ses longs services dans la colonie. — Personne n’était en état de mieux apprécier la situation. Depuis vingt ans qu’il gérait les affaires indigènes de sa province, rompu à la langue et aux mœurs des Zoulous dont il avait conquis l’affection, il avait eu le rare talent d’éviter tout conflit de races. Quelques milliers d’Anglais, environnés par une population indigène que l’on évaluait à plusieurs centaines de mille hommes, avaient vécu tranquilles, grâce au caractère ferme et conciliant de cet habile fonctionnaire. Bien plus, les Zoulous avaient tant de confiance en lui qu’ils désertaient la terre de leurs ancêtres pour venir habiter en deçà de la frontière britannique. Un tel résultat est rare, peut-être est-il unique dans l’histoire des établissemens européens d’outre-mer. En conséquence, le ministre des colonies délégua sir Theophilus comme envoyé spécial près de la république du Transvaal, avec mission d’y examiner l’état des affaires, et même avec pleins pouvoirs d’annexer à l’empire les districts où des troubles seraient imminens. Presque au même moment le gouverneur du Cap fut remplacé. Après six ans de séjour, sir H. Barkly arrivait à peu près au terme de son office ; on lui reprochait d’ailleurs de n’avoir pas su éviter des conflits avec les deux républiques hollandaises. Son successeur était sir Bartle Frère, dont la réputation a été faite d’abord par un long séjour dans l’Inde, et ensuite par une mission philanthropique sur le littoral de l’Afrique orientale pour l’abolition de l’esclavage.

Revenu en toute hâte à Natal, M. Shepstone reconnut que la situation était grave ; les colons s’inquiétaient de l’attitude qu’allait prendre Cetywayo. Le bruit s’était répandu dans toutes les tribus qu’une armée européenne s’était laissée mettre en déroute par des gens que les Zoulous eux-mêmes avaient toujours battus. L’envoyé anglais parut aussitôt pour Pretoria, avec un nombreux état-major, mais avec une simple escorte de vingt-cinq soldats. Il y arrivait après trente-huit jours de route ; — on ne voyage encore qu’avec les chariots à bœufs dans cette contrée patriarcale, où les distances sont grandes. La population blanche était agitée, divisée en deux partis de tendances opposées, de sentimens contraires : d’une part, les véritables boers, établis surtout dans les districts de Pretoria et de Rustenberg, animés d’une haine persistante contre la domination britannique, réclamant le droit de vivre dans l’isolement, de traiter les Cafres comme ils les ont traités de tout temps, c’est-à-dire avec cruauté ; d’autre part, les habitans des villes, négocians ou autres, les pionniers des placers, Anglais en majeure partie, désireux de vivre sous un gouvernement régulier ; puis, disséminée sur toute la surface comprise entre le Vaal et le Limpopo, une population