Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Moshesh les considérait comme ses alliés, comme ses défenseurs naturels dans le cas où d’autres tribus barbares seraient venues le menacer. Les Griquas eurent moins de désintéressement : ils vendirent leurs terres argent comptant, avec d’autant plus d’empressement qu’ils n’étaient pas bien sûrs eux-mêmes d’avoir un titre irrévocable sur les terrains qu’ils vendaient. Toute la nation griqua était représentée aux yeux des émigrans européens par deux chefs, Waterboer et Adam Kok ; le premier habitait au confluent des rivières, le second dans le district de Philipolis, station de missionnaires fondée par le docteur Philip en 1825 ; il est bon de dire que les Griquas vivaient dans le canton le plus fertile peut-être de l’Afrique australe.

Bientôt les boers, devenus plus nombreux, agirent en maîtres, et Moshesh s’en inquiéta. On s’en souvient, le motif déterminant de leur exode au-delà de l’Orange avait été que l’administration britannique voulait leur interdire de posséder des esclaves et d’abuser de leurs serviteurs indigènes. Le major Warden, qui représentait à Bloemfontein le gouvernement du Cap, était lui-même fermier, assez enclin par conséquent à favoriser les empiétemens de ses compatriotes, désireux autant que qui que ce fût de protéger les troupeaux des Européens contre les déprédations des natifs. Or ces déprédations étaient l’œuvre des sujets ou des vassaux de Moshesh ; ces empiétemens se faisaient à leurs dépens. En 1851 notamment, le résident proclama un commando contre le chef, qui était de force à résister ; on prétend qu’il pouvait réunir 10,000 guerriers. Les boers, harassés par les expéditions précédentes dont ils avaient retiré beaucoup plus de fatigue que de profit, se dirent que, puisqu’ils comptaient comme sujets britanniques, puisqu’ils payaient des impôts à l’Angleterre, ils avaient le droit d’être protégés par des soldats anglais. Sur 1,000 burghers inscrits comme combattans, 75 répondirent à l’appel du major Warden. C’était au moment de la guerre des Cafres ; toutes les troupes régulières étaient réunies sur la frontière orientale. Par bonheur, le lieutenant-gouverneur de Natal put envoyer un renfort de deux compagnies d’infanterie avec un contingent de Zoulous alliés. Cela ne suffisait pas ; l’année suivante, sir G. Cathcart, après avoir soumis les Cafres, vint attaquer Thaba-Bossigo à la tête de 2,000 hommes de troupes européennes. Moshesh fut contraint de se soumettre et de payer, sous forme de têtes de bétail, une grosse indemnité de guerre. Mais le cabinet britannique en avait assez de ces guerres contre les indigènes. Il décida que la province d’Orange serait abandonnée, les boers restant libres de s’organiser comme ils l’entendraient, de se défendre comme ils le pourraient contre leurs voisins turbulens.