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veritatem coluit. Nous le souhaitons aussi pour l’Académie des sciences morales et politiques, car elle ne saurait avoir d’interprète plus autorisé. Naguère, et dans une cérémonie touchante, cette Académie fêtait la quarantième année de la magistrature si dignement exercée par M. Mignet. Puisse-t-elle voir cette étroite union se prolonger de plus en plus, et, après les noces d’argent, célébrer un jour les noces d’or !

En terminant cette étude consacrée d’abord à la fausse éloquence dite académique dans la mauvaise acception du mot, puis à la véritable éloquence académique, à celle qui est dans les choses et non dans les paroles, enfin et surtout à un maître d’un talent si supérieur, nous tenons à exprimer le vœu de voir l’Académie française supprimer les entraves qui trop souvent ont comprimé l’essor des écrivains auxquels elle faisait appel. « Les concours académiques, a dit Voltaire, sont comme les thèmes que l’on fait au collège. Ils n’influent en rien sur le goût de la nation. » Il est souhaitable que ce mot cesse d’être vrai. Que l’Académie, gardienne vigilante de la langue, oppose un obstacle infranchissable aux témérités entreprenantes de la fantaisie, aux envahissemens des néologismes, rien de mieux ; c’est là son rôle. La langue qui a suffi à Pascal, à Bossuet, à Rousseau, à Chateaubriand, est assez souple, assez riche pour prendre toutes les formes, reproduire toutes les couleurs, exprimer toutes les pensées. En général, ceux-là seuls la jugent insuffisante qui ne savent pas la manier. Mais de ce que nous sommes partisan convaincu de la nécessité de ne modifier en rien, ni directement ni indirectement, l’aspect de notre magnifique langue, nous ne croyons pas moins fermement à l’obligation qui s’impose à l’Académie de faire entrer les concours dans une voie nouvelle où l’on gagnerait en vérité, en vigueur et en influence efficace ce qu’on perdrait du côté des traditions et de la convention. Nous souhaitons que cette compagnie illustre, et qui jouit d’une si légitime autorité, ouvre une plus libre carrière à l’esprit en l’allégeant du poids accablant de formes usées, de traditions surannées, de moules uniformes, laisse pénétrer davantage dans l’éloquence académique le piquant ingrédient de la critique, renonce à l’éloge à tout prix, sans réserve, fait sur programme, enfin offre un champ plus vaste à l’inspiration des jeunes écrivains en leur laissant, dans le choix des sujets et dans la manière de les traiter, cette grande chose qui est la vraie, la seule inspiratrice des idées fortes et des mouvemens éloquens, la liberté.


MARIUS TOPIN.