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pénètre avec Sismondi en Italie, et il étudie ce pays « qui a dépassé tous les autres en prospérité et en infortune, qui a conquis et organisé deux fois le monde sous les Romains et sous les papes, qui, expiant en quelque sorte ses victoires et sa domination, est tombé du faîte de la grandeur et de l’unité dans l’excès de l’affaiblissement et de la division, a été tour à tour envahi par les peuples barbares et par les chefs des monarchies militaires du continent, et s’est trouvé encore assez fort pour triompher de tous les conquérans pendant dix siècles[1]. » Tantôt il se transporte avec Livingston en Amérique, et il juge ce peuple « pour lequel sa position et la Providence ont plus fait que la prévoyance et les institutions mêmes de ses législateurs, car elles l’ont placé sur un vaste continent, sans voisins redoutables et dès lors sans ennemis, sans guerre étrangère et dès lors sans danger intérieur ; elles ont ouvert à son activité d’immenses perspectives, elles lui ont donné des déserts à peupler, des forêts à abattre, des savanes à cultiver, des montagnes à franchir, des fleuves à diriger, un monde entier à parcourir et à gagner à la civilisation[2]. » C’est encore pour honorer l’Amérique dans une de ses gloires les plus pures, en même temps que pour fournir un admirable modèle à suivre, que M. Mignet a écrit cette vie de Franklin « où chacun peut apprendre quelque chose, le pauvre comme le riche, l’ignorant comme le savant, le simple citoyen comme l’homme d’état, et qui offre surtout des enseignemens et des expériences à ceux qui, nés dans une humble condition, sans appui et sans fortune, sentent en eux le désir d’améliorer leur sort et cherchent les moyens de se distinguer parmi leurs semblables[3]. » C’est placer très haut, mais non trop haut, ce récit que de le mettre à côté des Vies de Plutarque. Sage plein d’indulgence, grand homme plein de simplicité, ayant agrandi la science, pratiqué la vertu, toujours voulu la liberté, Franklin est digne d’être mis à côté des héros de Plutarque, et son historien n’a pas été infidèle à la mission de rendre Franklin encore utile par ses exemples après l’avoir été par ses actions.

Pour une telle diversité de sujets, M. Mignet a su varier son style et l’assouplir aux diverses obligations qui lui incombaient. Simple et facile quand il s’agit de raconter la vie de Franklin, gracieux et plein de charme quand il expose, après Droz, l’art d’être heureux, majestueux et noble quand il résume à grands traits les destinées d’un peuple, bref, rapide, concis quand il trace le portrait de Sieyes, véhément et animé lorsqu’il replace sous nos yeux le fougueux et intempérant Broussais, le style des notices, toujours

  1. Notices et portraits, t. II, p. 61.
  2. Notices et portraits, t. Ier, p. 150.
  3. Notices et portraits, t. II, p. 310.