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d’opposition, c’est par le choix de certains sujets, lesquels doivent naturellement amener le développement de certaines idées. Faisant corps avec le sujet principal et ne pouvant sans détriment en être détachées, elles n’altèrent pas le caractère définitif de l’œuvre. Que si l’époque où ces idées sont exprimées les rend agressives et accablantes par l’application qui peut en être faite, ou piquantes et malicieuses par l’effet de contraste qui en résulte, c’est tant pis pour les victimes de ces rapprochemens, surtout quand l’historien-orateur a le soin de tirer du sujet traité tout ce qui en découle, mais rien que ce qui en découle directement. M. Mignet se maintient dans des régions trop élevées pour rechercher ces épigrammes voilées, ces allusions transparentes, si chères à certains écrivains, et que parfois ils font venir de si loin. Il évite scrupuleusement tout ce qui ferait perdre à son œuvre en durée ce qu’elle pourrait gagner en vogue. L’éclat d’une polémique retentissante ne l’a jamais tenté. Il place son art trop haut pour vouloir descendre dans l’arène bruyante des partis, et c’est parce qu’il ne s’est jamais mêlé aux passions contemporaines que le temps passera sur ses œuvres sans en affaiblir la portée. On ne peut donc équitablement le rendre directement responsable des impressions diverses qu’a fait naître, des comparaisons auxquelles a pu conduire la publication de son Histoire de la révolution en 1824, de la Vie de Droz en 1852, de la Vie de Jouffroy et de Tocqueville sous l’empire, de la Vie du duc Victor de Broglie en 1874.

Mais si, comme nous venons de l’établir, la galerie de portraits et le tableau d’ensemble ont été conçus dans un même esprit et peint des mêmes couleurs, les portraits complètent utilement le tableau en permettant de mieux se rendre compte des travaux gigantesques accomplis par les acteurs de cette formidable tragédie. Dans l’histoire générale, en effet, les événemens saillans attirent trop exclusivement l’attention du lecteur. Il est dans la révolution certaines dates célèbres qui, de bonne heure gravées dans l’esprit, continuent toujours à exercer une réelle attraction. Le 14 juillet, les 5 et 6 octobre, le 20 juin, le 10 août, le 21 janvier, le 31 mai, le 9 thermidor, le 13 vendémiaire, le 18 fructidor, le 18 brumaire, toutes ces journées dramatiques et terribles sont nécessairement les points culminans et lumineux du récit autant par l’intérêt saisissant qu’elles offrent en elles-mêmes que par leur influence décisive sur la marche générale des choses. En revanche, le lecteur est disposé à passer plus rapidement sur les intervalles de ces journées, intervalles qu’il considère volontiers comme les entr’actes du drame. Combien il en est même, parmi les lecteurs attentifs des meilleures histoires de notre régénération, pour qui la révolution est tout entière dans les dates que nous venons de