Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pédanterie. En lui rien de gourmé, rien qui éveille le souvenir du professeur. Toujours maître de sa plume comme il a été toujours maître de sa vie, il comprend l’enthousiasme d’autrui, mais sans jamais le partager, et la même philosophie sereine qui a dirigé tous ses actes a inspiré chacun des jugemens qu’il a portés. C’est par là qu’il vivra. Pour l’art d’exposer avec une suprême élégance les découvertes des savans, s’il a été le premier dans l’ordre des temps[1], il a eu et il a encore de dignes continuateurs ; mais il se distingue de tous parce qu’aux traditions de l’homme lettré, aux impressions de l’homme du monde, il a joint la philosophie calme et sereine du sage. Observateur attentif des hommes, il n’est ni leur dupe ni leur détracteur ; il les connaît trop pour rien ignorer de leurs travers, dont cependant il se garde bien de triompher. Sa haute raison plane au-dessus des faiblesses humaines, mais il laisse voir qu’il les aperçoit et qu’il les excuse. Est-ce à dire que son indulgence soit banale ? Nullement. Qu’elle soit dédaigneuse et hautaine ? Moins encore. Entre ces tendances si contraires, Fontenelle a su découvrir un tempérament qui vraiment le caractérise et que depuis personne n’a retrouvé.

On le voit, un auteur d’éloges n’a quelques chances de pénétrer dans la postérité que si, ne se bornant pas à être un dispensateur officiel et solennel de louanges, il a un trait caractéristique qui attire sur lui et retienne l’attention. Quelques-uns des éloges prononcés à Athènes sur la tombe des guerriers morts sont parvenus jusqu’à nous parce que c’étaient moins des éloges banals que de véritables harangues politiques où, à la louange décernée aux vainqueurs, se mêlaient de véhémentes apostrophes adressées à l’ennemi, lesquelles suscitaient de nouveaux héros. Le discours prononcé par Cicéron sur les guerriers de la légion de Mars morts dans un combat livré par Antoine est moins un éloge de ces guerriers qu’une philippique nouvelle destinée à entretenir la haine des survivans. Là les auteurs d’éloges sont en réalité des orateurs politiques, de même que Fontenelle est avant tout un philosophe moraliste.

Ce trait caractéristique, cette dominante du talent, ne sont pas malaisés à découvrir chez le secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques, qui vient d’ajouter un quatrième volume aux trois volumes[2] de Notices et portraits précédemment

  1. Du Hamel, son prédécesseur comme secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, écrivait encore en latin ses discours.
  2. Le premier volume de notices comprend Sieyes, Rœderer, Livingston, Talleyrand, Broussais, Merlin, Destutt de Tracy, Daunou. Le second : Siméon, Sismondi, Charles Comte, Ancillon, Bignon, Rossi, Cabanis, Droz, Franklin. Le troisième : Jouffroy, Laromiguière, de Gérando, Lakanal, Schelling, Portalis, Hallam, Macaulay. Le quatrième volume, qui a paru comme les trois autres chez Didier, comprend de Savigny, Alexis de Tocqueville, Victor Cousin, Brougham, Charles Dunoyer, Victor de Broglie, Amédée Thierry.